Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettes autour de son front : la couronne du martyre. Et j’ai conscience qu’il me maudit, tout bas. Tant pis. Je fais mon devoir. Part à deux. Je ne l’épouserai que s’il me cède à Paris comme je lui céderai sur ses terres. Je ne veux pas me faire épouser pour un temps. Je tiens à un mariage définitif.

« N’est-ce pas que j’ai raison ? Ne fais pas lire cette lettre à Maxime ; il me trouverait antédiluvienne.

« D’ailleurs, je n’ai pas l’intention saugrenue d’amener M. Malard à épouser mes idées. Chacun les siennes… et les troupeaux d’Épirange seront bien gardés. Son homme en littérature, c’est Balzac. Je lui ai assuré qu’il était mort ; il m’a soutenu qu’il n’en était rien et qu’il se portait même beaucoup mieux que tous mes « auteurs faisandés ; » il prétend qu’il voit les vers grouiller en marge. Il va un peu loin, mais, tout de même, j’avoue que ma littérature préférée n’est pas des plus saines. Est-ce qu’il m’aurait convertie ? Déjà ! Ce serait vraiment drôle.

« D’ailleurs, elles sont défendables, les idées arrêtées de cet honnête campagnard, Berrichon pur sang ! Il n’est pas éloquent, il est mieux que cela, il est contagieux, si l’on peut dire. Ses gestes, ses regards, ses sursauts, ses sourires sont tellement spontanés, tellement sincères, qu’ils donnent tout de suite à réfléchir et qu’on en oublie, du coup, ses propres raisonnemens. Il ne raisonne pas, lui, il a une sorte d’instinct supérieur qui le guide avec une précision déroutante. En politique, en art, en littérature, en musique, en tout, il divise les gens en deux camps : d’un côté les anarchistes, de l’autre les conservateurs. Il y a entre les deux une sorte de champ de manœuvre où s’essayent les hésitans. « C’est du battage, prétend-il, le soir ils couchent à droite, ou à gauche. » Il est vrai qu’il fait entrer un tas de choses dans son conservatisme. D’un seul mot, il définit le rôle de chaque armée ; l’une détruit, l’autre construit. Ce n’est pas plus difficile que cela… D’ailleurs, pas pessimiste pour un sou ! Il assure que de tout le théâtre nouveau, il restera « une coupe de poudre d’esprit, » que le reste, l’action, les personnages étant inexistans s’en iront en fumée. Sévère !

« Sa plus terrible qualité, à mon point de vue, c’est la fidélité. Vendredi, il a glissé à la poste une lettre qu’il avait mis plus d’une heure à écrire. Or, il n’y a pas deux personnes sur