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fugitif, non pas tant de son départ que du procédé qu’il a cru devoir employer. Peindre Marthe résignée, courageuse, confiante… Oui, mais j’y songe. Bourin ne verra peut-être pas cela du même œil…

— Bourin agira comme il lui conviendra, s’écria Jérôme. Et s’il se fâche, il aura rudement raison…

— Eh ! parbleu ! je n’en disconviens pas, mais il ne serait pas mauvais que tu allasses toi-même l’avertir…

— Charmante perspective…

A moins que Maxime n’ait poussé la gentilhommerie jusqu’à lui écrire, à lui aussi.

— Ah ! cette lettre à sa femme ! On n’a donc plus de cœur aujourd’hui ?

— C’est très mal porté. Mais c’est une maladie passagère, une mode :… sous ce vernis d’indifférence dont la jeunesse d’aujourd’hui se badigeonne, les hommes restent à peu près normaux. Il suffira d’un choc pour briser ce misérable enduit… Allons déjeuner, veux-tu ? Après, nous irons ensemble chez Bourin.

— Avec toi ! Ah ! tant mieux !

À ce cri du cœur, on eût pu croire que ce qui ennuyait le plus Jérôme Baroney, c’était, non pas l’événement lui-même, la fuite de Maxime, mais les mille conséquences qui allaient l’assaillir personnellement. Gabriel connaissait son frère et savait qu’il ignorait l’art de montrer ses bons sentimens aussi bien que l’art de cacher ses mouvemens de mauvaise humeur.


Huit jours plus tard, Jérôme Baroney surveillait, à Épirange, le déchargement des poutres de fer qu’il avait résolu de substituer, de loin en loin, aux poutres de bois. Deux gendarmes à l’écart faisaient les cent pas. Les ouvriers charpentiers étaient en grève à La Châtre, l’équipe d’Épirange, en dépit de son contrat, avait abandonné brusquement le travail. Jérôme, habitué à ces gentillesses, avait embauché des ouvriers agricoles pour le déchargement et la mise en place des poutres qu’on venait de livrer. Cette décision avait été fort mal accueillie, et Jérôme avait reçu une lettre de menaces qui lui avait permis de faire appel à la force armée et de porter plainte. Comme il avait l’habitude de bien traiter les hommes qu’il employait, il prétendait être payé de retour. Il fit avertir qu’il ne reprendrait aucun des