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— Il faudrait le lui faire céder.

— Travaillons-y, mais ce sera d’autant plus malaisé qu’il nous jettera son devoir dans les jambes. La clientèle de La Châtre, que j’avais fait miroiter à ses yeux, continue à le bouder.

— Il peut bien s’en passer. Il a de quoi faire ici, que diable !

Puis ils échangèrent d’aigres propos au sujet de Maxime :

— Ah ! c’est du joli.

— Il ira loin, de ce pas-là !

De Filaine, Malard se fit conduire à La Châtre. Il avait absolument besoin de voir Marthe, de lui dire son opinion sur la fugue de son mari. Dès qu’ils furent seuls, dans le petit salon où se tenait la jeune femme, Marthe fondit en larmes, et Malard, troublé, ne savait plus pourquoi il s’était résolu à faire cette démarche. Mais il comprit bientôt que Marthe ne pleurait pas seulement de chagrin, mais aussi, un peu, d’anxiété et presque de joie. N’était-il pas l’homme qui pouvait avoir vu son mari, l’homme qui lui avait peut-être parlé ?

— M. Jérôme, madame, m’a dit que vous étiez forte et brave.

— Je ne sais pas, monsieur. Le présent est affreux, mais il y a l’avenir.

Le baron Malard n’était pas un grand clerc en condoléances, ni en encouragement. Il regardait cette jeune femme vêtue d’un kimono bleu à grands ramages, entourée d’objets futiles, grès, statuettes, tableautins d’humoristes, et qu’on avait abandonnée, qui vivait toute seule sans perdre l’espoir. Et il songeait à son amie, à lui, à Suzanne Miroir qui avait dû souffrir elle aussi, qu’il avait été sur le point de « planter là, » et qui avait en lui toute confiance.

« Lâcheté, lâcheté, » murmurait-il, et il revoyait le beau Maxime, en habit, la boutonnière fleurie, le chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, dans une loge de concert, tournant le dos à la scène et savourant du bout d’une paille une boisson glacée, tandis que sa compagne, une danseuse de bouis-bouis, commune, mais célèbre, bavardait avec de jeunes fêtards, installés dans la loge voisine. Les quelques mots grossiers qu’il avait entendus au passage avaient suffi à sa curiosité. « Lâcheté ! »

Marthe, à cet instant, pensa aussi à Maxime. Elle ne pouvait plus ne pas en parler.