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La gaieté de la fillette est à l’unisson. Les abeilles bourdonnent, les moineaux piaillent, les poulains hennissent. C’est le printemps. Une autre vie commence.

— Une autre vie commence ! prononce Marthe en regardant sa fille.

— Oui, une autre vie commence, répète Étienne Baroney qui sent autour de lui la montée de toutes les sèves printanières.

A l’accent dont il a prononcé ces mots, Marthe comprend sa peine secrète. Il ne faut pas qu’Étienne soit malheureux un tel jour, où toute la terre est en joie et où elle-même se livre entière à la nouvelle espérance.

— Monsieur Étienne, dit-elle très bas, il faut que je vous dise, il faut que vous me pardonniez… Si vous saviez combien j’ai souffert et quelle est encore aujourd’hui ma pauvre vie…

— Oh ! Marthe, s’écrie Étienne, il y a longtemps que je vous ai pardonné, et depuis ce jour-là, je n’ai cessé de vous plaindre.

— Il ne faut plus me plaindre. Votre père m’avait averti. Je savais où j’allais… Maintenant, j’ai ma fille, je puis attendre…

— Attendre ? Toujours attendre…

— Mais vous, mon ami, il faut fixer votre vie… Ne me punissez pas si longtemps. Cherchez une bonne femme et fondez votre famille. Vous êtes fait pour être heureux. Je n’étais pas digne de votre amour…

— Oh ! si, si.

— Non. C’est le malheur qui m’a amendée. J’avais besoin de souffrir. Aujourd’hui, vous pouvez m’accorder votre amitié…

— Marthe ! Marthe !

Étienne ne sut pas mieux remercier, mais ses yeux, ses mains dans celles de la jeune femme, parlèrent pour lui. Il lui sembla qu’il avait reconquis le droit au bonheur. Les paroles de Marthe qu’il attendait depuis tant de mois avaient été le plus efficace des baumes. Il était guéri. Il serait l’ami de Marthe. Marthe aurait encore besoin de lui. Il serait là, dans l’ombre, toujours prêt au moindre appel.

— Au revoir, Étienne.

— Au revoir, Marthe.

Et ils se séparèrent dans le printemps. Ils n’étaient point faits pour suivre la même voie, mais leurs chemins désormais pourraient se croiser. Ils ne se feraient plus de mal.