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ce désespoir de nous-mêmes est la condition de notre espérance ; l’Apôtre a magnifié le péché, précisément pour exalter la miséricorde, et c’est notre impuissance irrémédiable qui appelle, prouve, certifie la nécessité de la Rédemption. De nous, aucun acte bon, en nous, aucun mérite ! Mais un autre a accompli, a mérité pour nous. Tous pécheurs et toujours pécheurs ! Mais un juste, le seul, le médiateur, est mort pour nous faire vivre. Qu’importe donc notre péché ? Il est même nécessaire pour que le Christ nous impute sa justice. Le manteau de sa sainteté couvre notre pourriture. Et pour incorporer sa justice, la seule chose qu’il nous demande, c’est la foi.

La foi ! Telle est, en dernière analyse, « l’œuvre unique, » parce que, ne venant pas de nous, elle opère, sans nous, notre salut. — Non cette foi intellectuelle ou acquise qui adhère à la vérité des enseignemens, mais cette foi totale et infuse, faite de confiance, de pénitence et d’amour, qui rend présente en nous la personne même du Christ. « Quiconque est uni à Dieu par la foi devient juste ; en même temps pécheur et juste, pécheur par la réalité de sa nature, juste par la promesse et l’imputation de Dieu. » Que parlons-nous donc maintenant des œuvres ? La foi crée en nous la pénitence ; moins ces pratiques extérieures et imposées où l’homme met toujours l’orgueil de son être, que ce sentiment de notre indignité totale qui nous pousse sans cesse à gémir devant Dieu, à craindre son jugement, à le supplier pour la rémission, c’est-à-dire la non-imputation de notre péché. Elle crée à son tour les œuvres, ou plutôt elle les réintègre dans notre vie morale : œuvres spirituelles, œuvres « d’humilité, » qui ne justifient pas, qui ne sauvent pas, mais qui témoignent de « notre justice intérieure. » Les œuvres sont un produit de la foi comme le fruit de l’arbre. Et d’un mot, la foi est dans nos âmes la loi vivante, ce par quoi Dieu pense, agit, opère en nous, substituant sa justice à la nôtre, sa vie à la nôtre, et nous révélant, dans le sentiment même de notre misère, notre guérison.

Péché, justification, foi ! Le système luthérien est trouvé ; pour achever de se dessiner, il n’aura plus qu’à formuler le principe scripturaire. Doctrine d’une simplicité et, partant, d’une puissance incomparable, créatrice d’action, dans ses négations mêmes. Ce n’est plus la critique de l’humanisme, l’appel vague des mystiques à une religion intérieure, l’attitude de lettrés qui spiritualisent les formes ou les formules qu’ils gardent.