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Parthénon quelque émule de Phidias avait taillé une frise équestre artistement sculptée, il devait, j’imagine, reculer d’abord pour mieux juger l’effet de son œuvre dans l’ensemble, puis s’absorber bientôt, oublieux de son propre effort, dans la vaste harmonie du temple tout entier. Ainsi au regard de l’Univers se comporte le savant digne de ce nom.

Les idées philosophiques de Henri Poincaré ont profondément remué tout ce qui pense dans le monde. Elles ont contribué par leur forte empreinte à donner à l’attitude intellectuelle de notre génération son profil si particulier. Par une fortune singulière elles ont créé de l’émotion dans les camps les plus adverses ; on a voulu de part et d’autre de la barricade s’en servir comme de projectiles : vaines tentatives, car elles planaient très haut au-dessus de toutes les barricades. Il se rencontra même des circonstances où les idées de Poincaré déchaînèrent presque un scandale propre à ranimer des querelles d’un autre âge. Où cet homme puisait-il donc la force d’émouvoir ainsi, malgré lui, par sa seule pensée et dans un domaine abstrait, une époque réaliste et vulgaire où les conflits des intérêts priment plus que jamais ceux des idées ? Cette force, il la puisait dans sa supériorité intellectuelle sans égale et surtout dans son admirable sincérité. En quoi et pourquoi les points de vue nouveaux que ce grand homme a apportés dans la contemplation des choses sont-ils donc si suggestifs, si utiles, si émouvans ? Nous allons tenter de le chercher.

Si l’on exclut l’âpre lutte pour le mieux vivre, qui domine encore la société, mais ne s’est pas améliorée en dignité en passant du règne animal à l’homme, il semble que tous les déchiremens humains proviennent seulement de ce que nous sommes avides à la fois de vérité et de justice. Or chacun a toujours convenu, — sauf le docteur Pangloss qui est un personnage mythique mort sans laisser de descendance, — que, si l’on étudie la réalité, on constate que la justice n’y règne guère. Ainsi ces deux mots « vérité » et « justice » que l’on a coutume d’accoupler, correspondent en un certain sens à des objets que la nature des choses rend exclusifs l’un de l’autre. Les hommes que la vérité, le besoin de savoir attirent par-dessus tout, suivront jusque dans leurs dernières conséquences les enseignemens de la raison, ils l’aimeront pour elle-même, dût-elle noyer dans l’amertume leurs plus chères illusions. Les autres, altérés avant