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nos jours des savans considérables l’ont cru réalisé, et qui n’a lu notamment les ouvrages où le célèbre naturaliste allemand Hœckel développe ce système, et croit avec un naïf orgueil avoir résolu ainsi les « Énigmes de l’Univers ? »

On se doutait bien un peu depuis Kant que les notions de temps et d’espace auxquelles ce matérialisme métaphysique, — si j’ose employer cette expression, — ce pangéométrisme absolu, croit ramener les phénomènes, sont quelque peu subjectives ; cela déjà pouvait rendre branlantes les bases de l’ambitieux édifice. Mais il appartenait à Poincaré de montrer d’une manière complète et difficilement réfutable, en usant de la méthode scientifique elle-même, ce qu’il faut penser au fond de ces idées. Pour cela il examine successivement les diverses sciences qui empruntent la forme géométrique et qui sont, si on les classe hiérarchiquement à ce point de vue : d’abord la géométrie elle-même, puis la mécanique, puis la physique.

Les mathématiques d’abord. Le rationalisme intégral, après avoir pourchassé le dogme et l’Absolu dans leurs anciennes forteresses, les a, par un retour étrange et quelque peu contradictoire, restaurés dans la mathématique ; il a cru que celle-ci ne pouvait être que ce qu’elle est, qu’elle avait quelque chose de fatal, de nécessaire, d’inéluctable, et que, dans la fluidité de toutes nos notions, elle seule était inébranlable comme un roc dans la mer, elle seule à l’abri des contingences et du relatif.

Or si nous examinons avec Poincaré la science du nombre et de l’étendue, et surtout ses premiers principes qui en sont la partie la plus délicate, à cause précisément de leur apparente et indémontrable évidence, nous voyons ceci : le postulatum d’Euclide sur lequel est fondé toute la géométrie dit que par un point on ne peut faire passer qu’une parallèle à une droite donnée. On a dépensé pendant des siècles des efforts inouïs pour démontrer cet axiome jusqu’au jour où, dans le courant du siècle dernier, le Russe Lobatschefski et le Hongrois Bolyai ont à peu près simultanément établi que cette démonstration est impossible. Depuis lors l’Académie des Sciences ne reçoit plus chaque année qu’une douzaine de pseudo-démonstrations du postulatum, ce qui n’est guère.

Mais Lobatschefski a fait mieux : en supposant que l’on peut par un point mener plusieurs parallèles à une droite, et en conservant les autres axiomes de la géométrie, il a déduit une