Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les cent dernières années ont produit des expérimentateurs de génie, comme Pasteur, des intuitifs étonnans comme Maxwell ; elles n’ont pas produit d’hommes qui aient autant que Poincaré fait progresser les sciences purement déductives et toutes celles qui relèvent de la discipline mathématique ; elles n’en ont pas produit non plus qui aient su comme lui « penser la science » et la situer exactement. Le tableau qu’il nous en laisse est à la fois réconfortant et mélancolique. La science a ses limites, elle ne peut connaître que le « relatif, » mais dans son domaine elle reste souveraine. Quant à vouloir pénétrer ce qu’on appelle l’ « Absolu, » la « chose en soi, » ces questions ne sont pas seulement insolubles, elles sont illusoires et dépourvues de sens. » La science est asymptote à la totale vérité, comme l’hyperbole est asymptote à ses directrices, et c’est pourquoi comme l’hyperbole elle croîtra sans fin.

Dans la sombre forêt du mystère, le Savoir est comme une clairière : l’homme élargit sans cesse le cercle qui la borne ; mais en même temps, et par cela même, il se trouve en contact sur un plus grand nombre de points avec les ténèbres de l’inconnu. Nul n’a su, sur les bords confus de cette clairière, conquérir plus de fleurs magnifiques et nouvelles que ne fit Henri Poincaré. Aussi, tant qu’il y aura des hommes qui penseront qu’il est noble de vivre sur les sommets où trône l’âpre Vérité, son nom lorrain voltigera sur leurs lèvres.

Il fut, — s’il m’est permis de paraphraser un mot célèbre, — un des momens de la pensée humaine.


Charles Nordmann.