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chaque jour sa puissance, tandis que chaque jour les luttes intestines des révolutionnaires diminuaient la leur. Si l’enfant qui renversa le shogunat en 1868 n’était guère qu’un otage entre les mains de ses prétendus conseillers, s’il se taisait de crainte de se voir contredire, de crainte peut-être de se voir déposer, l’homme qui vainquit Saigo en 1877 était déjà un souverain.

Ce serait pourtant mal juger l’empereur Mutsuhito que de le présenter comme hostile ou comme indifférent à l’œuvre de destruction accomplie pendant les dix premières années de son règne. Il promulgua toutes les grandes réformes, non seulement comme souverain, mais comme représentant du Ciel et des dieux ; il n’y a donc pas de doute qu’il ne les approuvât au moins dans leurs grandes lignes. A l’époque où il monta sur le trône, le sentiment qui semble avoir dominé chez lui était le mysticisme. Tandis que pour Komei le culte des ancêtres était simplement un de ces rites tout de forme où se plait le confucianisme dégénéré, Mutsuhito, imbu de romantisme, y voyait l’union du présent et du passé, des descendans et des ascendans, du souverain et des ancêtres divinisés, et parce que cette union était chez lui un sentiment, non un rite, qu’elle avait son temple non dans tel ou tel édifice, mais dans le cœur même, il croyait possible, il croyait même nécessaire de l’affranchir des coutumes qui avaient fini par en cacher le sens. Pour lui, la Révolution n’était donc pas impie, si elle se faisait dans un sentiment de piété envers les aïeux, si l’on ne rejetait les formes extérieures de leurs institutions que pour en rechercher l’esprit ; et cette croyance, il la poussait si loin que c’est comme représentant des aïeux qu’il crut de son devoir d’accepter la civilisation de l’Occident. Élevé d’ailleurs dans la haine de tout ce qu’avait fondé le shogunat, il considérait comme son devoir de n’en rien laisser subsister. Et son mysticisme ne le portait pas seulement vers ses ancêtres, il le portait aussi vers son peuple. Confucianiste, Mutsuhito ne voulait plus d’intermédiaire entre lui et ses sujets ; en supprimant les principautés, les classes, les corporations, il rétablissait l’unité de la famille, il écartait ceux qui, en l’absence du père, avaient pris sa place, il rendait tous ses enfans égaux parce qu’il avait envers tous les mêmes devoirs et qu’il portait à tous le même amour. Sans doute il faut admettre aussi que Mutsuhito, encore très jeune, se