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combien on vivait sur soi-même, en contact permanent et cordial avec la terre : nous n’aurions plus de notre histoire qu’une notion vague et abstraite. Nous serions étrangers dans notre propre patrie.

Le don qui nous est fait corrige en partie ce danger. Il nous sera une leçon de choses plus instructive que cent volumes. Nous y verrons de quelles réalités se forma lentement la France, ce qu’elle dut de son génie à la société du sol, à la patiente et douce appropriation qu’elle en sut faire, combien elle excella à créer dans la solitude des points de culture et de conscience. A titre de relique de l’histoire, Châalis, comme Chantilly, méritait d’être conservé. L’un est l’exemplaire-type de la France féodale ; l’autre, un modèle parfait de la France religieuse. A eux deux, ils représentent deux aspects essentiels de notre tradition. L’Institut, dépositaire de nos richesses spirituelles, et qui a devant le monde la charge avec l’honneur de la pensée française, était le gardien naturel d’un domaine de ce genre. Ce sera, entre ses mains, une sorte de réserve ou de « parc national. » L’historien s’y rendra compte des conditions d’hygiène, de la respiration morale de l’Ancien régime ; le poète verra se lever sur les étangs magiques la figure du passé, et le simple promeneur jouira de ces ombrages, de ces bruyères, de ces dunes, de ce vaste silence, de ce coin de nature, intact près de Paris, de ces vallées pleines de souvenirs et d’apparitions errantes sous le manteau de verdure qui couvre le Valois, et qu’agrafe à son sein, comme une aiguille d’or, la flèche divine de Senlis.


LOUIS GILLET.