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canonnière Dolfin, et la musique du bord jouait la Marseillaise. Nous allions visiter Mount Vernon, l’ancienne demeure de Washington. En peu de temps, nous perdons de vue les quelques usines à haute cheminée, que cette ville des avenues, des jardins et des parcs a laissé bâtir sur la rive du fleuve, et nous nous avançons, toutes les fumées et les maisons étant restées en arrière, au milieu de ces grands espaces d’eau qui, n’ayant pas de montagnes pour les contenir, n’ont pas d’ombre sur eux et ne reflètent que du ciel. Le Dolfin suit un chenal à distance à peu près égale des deux rives. Celle de droite est relevée en talus. Tout est boisé, cette pente, l’autre bord qui est plat, les anses qui s’ouvrent et éclatent tout à coup, comme des bulles de lumière, et les petits caps de lagunes, très lointains, qui n’ont point de relief, et qui portent sans se montrer, aussi avant qu’ils peuvent dans le courant, la découpure nette d’une ligne d’arbres. Lorsque nous nous approchons un peu plus des rives, les différentes et jeunes frondaisons apparaissent, et parmi elles, des fleurs blanches. Je crois d’abord que ce sont des aubépines. J’ai vu de si beaux aubépins, à Regent’s park, et, qui feraient, dans une futaie, des taches pareilles à celles-ci. Mais non, pas pareilles, car l’aubépine est un buisson, un fouillis de bouquets d’étoiles, et fleuri jusqu’en dedans : ce que j’aperçois, sous les futaies, parmi les hampes jeunes, les baliveaux et les végétations protégées, c’est un arbuste dont les branches en éventail, comme celles d’un hêtre, portent de larges fleurs, d’un blanc soyeux, un arbre qui a ses fleurs avant ses feuilles, il me semble, ce qui est une permission donnée à quelques-uns, pour notre joie. Je demande à une Américaine. « Nous l’appelons Dogwood, » me dit-elle. Et je crois voir que les Dogwood se multiplient, à mesure que nous avançons vers Mount-Vernon. Ils blanchissent l’ombre bleue, quand la futaie se creuse, s’enfonce dans une faille, et fait un pli comme un livre entr’ouvert. Des mains se tendent vers cette pente forestière ininterrompue, fuyante, et désignent un point blanc, tout en haut. La canonnière ralentit sa marche, des fusiliers de marine, en armes, se rangent sur le pont, face à la terre. Les conversations cessent. Nous allons passer devant le tombeau de Washington, qui est là-bas, entre les arbres du parc. L’officier qui commande le piquet d’honneur tient son sabre levé. Tous les invités du Président et les marins de l’équipage sont debout et découverts. La musique, à l’avant du