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destiné à recevoir la statue du Roi martyr est profané par le drapeau de la révolte et condamné à être un monument à !a Charte.

Ce fait me rappelle un propos de M. de Chabrol, frère du ministre et qui, dans le temps, fut préfet de la Seine. Ce préfet, donc, usa de toute son influence pour contrarier le projet de Madame la Dauphine ; qui désirait vivement que ce monument pour son père fût érigé sur la place appelée alors Louis XV. Elle lit appeler M. de Chabrol et lui dit très sèchement que telle était sa volonté et que M. le préfet n’avait qu’à s’y soumettre. Alors M. de Chabrol, dans un accès d’impatience, dit à cette princesse :

— Je forme les vœux les plus ardens pour que ce que je redoute ne se réalise point ; mais Votre Altesse vivra assez longtemps pour voir flotter le drapeau tricolore sur ce monument.

M. de Chabrol encourut par cette réponse la disgrâce complète de Madame la Dauphine.


4 septembre. — Cette ville est dans un calme semblable à celui qui précède un orage, on n’a confiance en personne ; on craint de se compromettre, on cherche à vendre ce que l’on possède en immeubles, pour pouvoir émigrer en cas de nécessité. Il est, à la vérité, des personnes qui préfèrent se défendre jusqu’à, la mort plutôt que de quitter le sol français. Mais c’est le petit nombre ; au surplus, tout le monde est inquiet. Cette belle liberté n’inspire pas beaucoup de confiance, et si, sous un gouvernement despotique, on est sujet à la volonté d’un homme, c’est bien pire sous celui-ci : on est esclave de la peur.


7 septembre. — Sur tous les théâtres, on ne donne en ce moment que des pièces patriotiques, inspirées par les circonstances du jour. Nous sommes avancés d’un siècle ; ce qui aurait été scandaleux, révolutionnaire et blasphématoire, il y a quelques semaines, est piquant, patriotique et religieux même, sanctifié par la tolérance, qui consiste maintenant en outrages, en invocations obscènes contre les prêtres catholiques. Les rôles d’intrigans, de fourbes, de malfaiteurs, dans les comédies ou mélodrames, sont toujours représentés par des jésuites. Le plus grand outrage qu’on puisse faire à quelqu’un, c’est de rappeler jésuite.