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regrets affectueux. Nous avons goûté le plaisir de le voir et de l’entendre, l’agrément de sa parole, de son chant et de son jeu, la vivacité, restée jeune, gamine même, de son esprit et de son imagination, le charme enfin de son ondoyante, un peu féminine amitié. Sensible à l’éloge, il en était reconnaissant, quelquefois sans mesure. Si les critiques, les réserves, les reproches amicaux ne le touchaient pas moins, il savait n’en montrer, n’en garder ni dépit ni rancune. Dans la bibliothèque et près de la table où nous achevons d’écrire de lui, plus d’un souvenir de lui nous le rappelle. C’est une vue de sa maison des champs, c’est un autographe de quelques mots, un autre de quelques mesures. C’est un portrait, vieux de plus d’un quart de siècle, au bas duquel il a tracé, comme il se plaisait à le faire, par coquetterie, une un peu trop modeste, un peu trop humble dédicace. Enfin voici la grande partition du Cid, aux pages encadrées d’un filet rouge. Sur la feuille de garde, les premières mesures du ballet sont transcrites, pour quatre mains, avec cette mention, devant la double portée : « Vous — Moi. » Et plus haut : « Souvenir de la soirée du jeudi 3 décembre 1885. » Aujourd’hui, comment ne songerions-nous pas, avec un redoublement de mélancolie, que celui qui vient de mourir fut l’un des grands artistes de notre temps, oui du temps qui a été nôtre ? Il n’est pas une partition de Massenet que nous n’ayons vue paraître. Cette œuvre, cette œuvre tout entière, nous fut en quelque sorte présente, et voici déjà qu’elle vient d’entrer dans notre passé.


CAMILLE BELLAIGUE.