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la voie où s’était engagé, quelques années plus tard, l’auteur de l’Homme au Sable et du Petit Zacharie. Et cependant on ne saurait imaginer erreur plus complète que celle qui nous apparaît dans ces lignes du poète franco-allemand. Bien loin que les récits d’Hoffmann dussent être pour les Français plus « étrangers et inaccessibles » que les fantaisies de Jean-Paul Richter, il n’y a peut-être jamais eu, dans toute la littérature allemande depuis Klopstock et Gessner jusqu’à Nietzsche, aucune œuvre qui, dès son entrée chez nous, ait reçu de notre public un accueil plus favorable. Non seulement, en effet, l’œuvre d’Hoffmann a joué un rôle énorme dans les premières évolutions de notre romantisme : je serais même tenté de dire que, pendant un demi-siècle, ce sont les innombrables traductions des contes et romans d’Hoffmann qui, presque à elles seules, ont fourni à nos pères tous les élémens de leur conception de l’âme poétique allemande. Par un phénomène singulier, mais dont on retrouverait aisément d’autres exemples non moins caractéristiques, ces récits de l’auteur des Contes Fantastiques ont obtenu en France un succès infiniment au-dessus de celui qu’ils ont rencontré dans leur pays ; et si, de nos jours, les lettrés et le public allemands commencent enfin à apprécier le génie d’Hoffmann, tout de même qu’ils font pour celui d’Henri Heine, c’est en partie parce que la force et la durée de la renommée française de ces deux écrivains ont obligé leurs compatriotes à se rendre compte d’un mérite qui, d’abord, les avait frappés beaucoup moins que nous.

Mais cette étrange fortune de l’œuvre d’Hoffmann devait avoir fatalement pour effet de substituer une image plus ou moins fantaisiste à la véritable figure du conteur berlinois. Pendant que celle-ci s’effaçait aux yeux du public allemand, accoutumé dès le début à ne considérer Hoffmann que comme un médiocre improvisateur sans idées et sans style, on comprend aisément que les lecteurs français, de leur côté, aient pris l’habitude de se représenter au gré de leur fantaisie un écrivain dont l’œuvre les ravissait par son mélange, tout « allemand, » de réalisme familier et d’inépuisable « folie » poétique. Si bien que, de très bonne heure, une légende s’est formée chez nous autour de la personne de l’auteur des Contes Fantastiques : une légende qui tendait naturellement à revêtir cette personne elle-même d’une vigoureuse couleur « fantastique, » et qui d’année en année, avec cela, se renforçait et se développait d’autant plus librement que l’indifférence de nos voisins d’outre-Rhin à l’égard d’Hoffmann leur enlevait tout désir d’opposer à cette image légendaire du conteur un