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convenir à nous autres beaucoup mieux que la prompte vivacité qui se voit chez les Français, dans presque tous leurs mouvemens… » Voilà ce qu’écrit le modèle : voyez ce qu’a fait le peintre. Il a donné, ici, l’exemple du calme et de la sérénité dans les lignes. C’est la pose rentrée ou concentrée, toutes les lignes ramenant l’œil au centre de la toile, aucune ne l’égarant au dehors. Elle a frappé Rubens : il en a fait un croquis qui nous a été conservé, croquis hâtif, notation immédiate où rien n’est visible que cette dynamique des masses rabattant l’attention sur le principal de l’objet. Ce balancement des lignes, qui est un enchantement pour l’œil, ce mystérieux accord entre nos instincts physiologiques encore mal définis et l’équilibre entre la suspension des choses dans l’espace, suivant l’effort de l’homme, et leur chute suivant la loi de gravitation : — tout cela est dû au génie naturel du peintre.

Et il est bien évident qu’il y a réussi sans système, sans contrainte, presque sans y penser. Ressemblance de plus avec son modèle : « Je trouve, dit Castiglione, une règle tout à fait universelle, qui me parait valoir en toutes les choses humaines qui se disent ou qui se font plus qu’aucune autre : c’est de fuir le plus qu’il se peut, et comme recueil le plus âpre et le plus périlleux, l’affectation et pour employer, peut-être, une expression nouvelle, d’user en toutes choses d’une certaine désinvolture (sprezzatura), qui cache l’art et prouve que ce qu’on fait ou dit vient sans fatigue et presque sans y penser. De là, je crois que dérive aussi la grâce, parce que des choses rares et bien faites chacun sait la difficulté ; alors la facilité à les faire excite un grand émerveillement et, au contraire, forcer son talent et, comme on dit, « tirer par les cheveux » est extrêmement disgracieux et ôte sa valeur à toute chose, si grande qu’elle soit. Ainsi, l’on peut dire que ceci est de l’art vrai, qui ne semble pas être de l’art… Dans la peinture, par exemple, une seule ligne tracée sans effort, un seul coup de pinceau facilement donné, de façon qu’il semble que la main, sans être guidée par aucune étude ni aucun art, s’en va d’elle-même à son but, selon l’intention du peintre, découvrent clairement l’excellence de l’artiste. » C’est la définition, même, de Raphaël dans ses portraits, à ses plus beaux momens et notamment dans ce portrait. Cette facilité, cette tranquillité de l’artiste créant son œuvre comme la nature fait la sienne, cette sprezzatura, que Castiglione met