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solennelle, à la cour de Versailles, des députés américains, présens depuis des années à Paris. Cette « étonnante présentation, » comme écrit le duc de Croy, qui en fut le témoin, eut lieu le vendredi 20 mars. Voici comment le duc raconte la scène : « Le Roi[1], sortant du prie-Dieu, s’arrêta et se plaça noblement. M. de Vergennes présenta M. Franklin, M. Deane et M. Lee. Le Roi parla le premier et dit : « Assurez bien le Congrès de mon amitié. J’espère que ceci sera pour le bien des deux nations. » M. Franklin remercia au nom de l’Amérique et dit : « Votre Majesté peut compter sur la reconnaissance du Congrès et sur sa fidélité dans les engagemens qu’il prend. » Ensuite le premier commis des Affaires étrangères les ramena chez M. de Vergennes… Les voilà donc, ajoute Croy, traités de nation à nation et le Congrès bien reconnu, ainsi que l’indépendance, par la France la première. Tous les esprits étaient exaltés ! »

Le même jour, M. de Noailles, ambassadeur de France à Londres, était reçu, sur sa demande, par le roi d’Angleterre et lui communiquait divers articles du traité. « Est-il vrai, demandait alors George III, que le Roi votre maître ait signé ce traité ? — Oui, Sire. — Sans doute qu’il en a prévu les suites ? — Oui, Sire, le Roi est prêt à tout événement. » Sur quoi, tournant le dos à notre ambassadeur, George III s’éloignait, en proie à l’agitation la plus vive[2].


À quelques jours de là, la Chambre des Communes délibérait, à Londres, sur la situation. Les esprits étaient divisés ; une poignante inquiétude assiégeait tous les cœurs. On savait que l’Espagne était prête à joindre sa flotte à celle préparée par Sartine. On savait, d’autre part, que l’Angleterre, en acceptant la lutte, ne pouvait espérer nul appui sérieux en Europe. Ni l’Autriche, notre alliée, ni la Prusse, occupée ailleurs, ne songeaient à entrer en lice. La Grande Catherine, sollicitée, refusait nettement tout secours. À peine certains principicules allemands, en cas de guerre continentale, faisaient-ils vaguement entrevoir l’envoi de quelques milliers d’hommes. Devant cet état de choses angoissant, les députés ne savaient que résoudre. Lord North, ministre des Affaires étrangères, se faisait l’interprète de ces hésitations. : Dans un discours embarrassé, il laissait même

  1. Journal du duc de Croy, mars 1778.
  2. Correspondance secrète, publiée par Lescure.