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d’aujourd’hui, l’élégante société dont s’entoure la bonne Mme Orlonia, ne se fait et ne nous laisse aucune illusion sur la complète dépravation de certains milieux contemporains et des plus distingués. Mais il croit à l’existence de quelques êtres d’élite, qui témoignent en faveur de l’humanité et prouvent le Rien en le réalisant. C’est, à mon avis, le dernier mot de l’expérience, et, en raccourci, l’image elle-même de la vie humaine. A plusieurs reprises, M. Hervieu nous avait présenté des types de femmes, fort séduisantes à coup sûr, mais chez qui la noblesse morale se conciliait avec une espèce d’égoïsme instinctif et réfléchi. Pour la première fois, il a su peindre, dans sa simplicité et sa pureté, le type de l’honnête femme. Cela seul suffirait pour assigner à Bagatelle une place de choix dans son œuvre.

Toute une partie de l’interprétation, — le côté des femmes, — est excellente. Mme Bartet n’a jamais montré plus de délicatesse, de mesure, de sobriété, et pourtant de tendresse et d’émotion que dans ce rôle de Florence. Elle y est tout simplement admirable. A côté d’elle, Mlle Cernj s’est taillé un joli succès dans le rôle de Micheline, où elle déploie beaucoup de séduction et parfois de passion. Mme Pierson, qui personnifie à merveille Mme Orlonia, est incomparable dans ces rôles de douairières indulgentes, désabusées et très dix-huitième siècle. Mlle Leconte avait accepté un bout de rôle, celui de Raymonde : elle l’a joué à ravir, avec ce mélange d’espièglerie et de fraîcheur qui est la marque de son talent. Mais le côté des hommes est fâcheusement insuffisant. Faisons une exception pour M. Bernard, excellent sous les traits du vieux galantin, Vureuil. M. Albert Lambert est un Gilbert de Raon tout à fait quelconque. Et M. Grand, lourd et avantageux, sous les traits de Jincour, rend le rôle insupportable et presque inintelligible. On ne voit pas, d’ailleurs, qui se fût mieux acquitté de la tâche. Il n’y a plus d’hommes à la Comédie-Française.


Le Gymnase a donné une brillante reprise du Détour. Cette pièce, jouée il y a dix ans sur la même scène, fut, si je ne me trompe, la pièce de début de M. Bernstein. Légèrement remaniée, et grâce à une nouvelle interprétation, elle a retrouvé tout son succès. Ce qu’il y a d’intéressant, quand on revoit, dix ans après, le premier ouvrage d’un écrivain qui par la suite s’est fait abondamment connaître, c’est d’y noter les germes qui devaient plus tard se développer et les indications d’où allait sortir l’œuvre future. La critique n’y a pas manqué. M. Bernstein s’étant fait une spécialité du théâtre brutal, on a remarqué que tous les personnages sont ici diversement mais également