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il serait un homme supérieur. » Mercy, en traçant à la Reine sa ligne de conduite, n’avait donc pas tort d’attacher une sérieuse importance à la conquête de cet octogénaire.

Ces exhortations répétées ne laissaient pas Marie-Antoinette insensible. On la voit, en effet, faire, vers ce temps, quelques efforts sincères pour se rapprocher de Maurepas. Une démarche de ce dernier pour obtenir que son neveu, le duc d’Aiguillon, tout récemment rappelé d’exil, eût également la permission de se remontrer à la Cour, servit de prétexte à la Reine pour mander le vieillard et lui parler d’un ton auquel elle ne l’avait guère habitué. Sans doute, à sa requête oppose-t-elle un refus, mais ce refus est tellement adouci, il est comme enveloppé de paroles si gracieuses, qu’il semble ouvrir la porte à un raccommodement. « Je sais, concluait-elle[1], combien Mme de Maurepas désirerait que M. d’Aiguillon eut cette liberté (de reparaître à Versailles). Je voudrais, de tout mon cœur, lui faire ce plaisir, à elle et à vous, et je regrette fort que cela ne se puisse pas. Il a été un temps où je ne vous en aurais pas dit autant. J’ai eu des préjugés contre vous. J’en suis bien revenue, et je suis véritablement affligée de ne pas vous contenter, vous et Mme de Maurepas. »

Mais ces avances, accueillies avec joie, sont malheureusement sans lendemain. L’esprit de suite n’est pas le fort de Marie-Antoinette. Le plus futile grief, la plus légère insinuation de la « société »de la Reine suffisent à ranimer l’ancienne antipathie. Quelques semaines après l’audience ci-dessus relatée, sur le simple soupçon que Maurepas pousse le Roi à faire des « cachotteries[2], » à prendre certaines décisions sans consulter sa femme, on voit cette dernière s’emporter, déblatérer contre Maurepas, refuser aigrement de lui adresser la parole. Toutes les homélies de Mercy sont impuissantes à calmer sa fierté blessée ; entre elle et le ministre, les rapports redeviennent plus tendus que jamais.

C’est donc par un autre moyen qu’il faudra que la Reine gagne de l’influence sur les affaires publiques. Le plus sûr et le plus direct est qu’elle conquière l’esprit du Roi, qu’elle s’occupe davantage de plaire à un époux trop longtemps négligé. Les

  1. Journal de Véri, 1779.
  2. Lettre de Mercy à l’Impératrice, du 17 mai 1779. — Correspondance publiée par d’Arneth.