fatigué du travail et de la route ; moi, je le suis de la goutte ; je crois que nous avons tous les deux besoin de repos[1]. »
Les jours suivans ne firent qu’aviver son dépit. Son entourage lui persuada qu’il avait été « joué, » qu’on avait « fait parler la Reine. » II se crut victime d’une intrigue, d’une « cabale » montée contre lui par le directeur général, et une rancune amère s’amassa dans son cœur[2].
Dans le public, la disgrâce de Sartine excita des transports de joie. La nouvelle fut sue, le soir même, dans les cafés de la capitale ; elle fut saluée par des acclamations, des « battemens de mains » unanimes. On colportait mille bruits fâcheux sur le ministre renvoyé : on l’accusait d’avoir, tant comme lieutenant de police que plus tard comme ministre, exercé des malversations, pillé à son profit les finances du royaume, et l’on citait des chiffres fabuleux : le même homme, disait-on, qui, trente années auparavant, était contraint d’emprunter 12 000 francs pour s’acheter un office au parlement de Paris, possédait à présent de 5 à 600 000 livres de rente[3]. Et l’on composait des couplets, on rédigeait des « épitaphes, » dont la meilleure paraît être celle-ci :
J’ai balayé Paris avec un soin extrême :
Mais, en voulant des mers balayer les Anglais,
J’ai vendu si chers mes balais,
Que l’on m’a balayé moi-même.
À quelques jours de là, un entrefilet maladroit de la Gazette de France aggravait encore les soupçons. La Gazette annonçait que le « marquis de Castries avait été nommé par le Roi secrétaire d’État au ministère de la Marine, qu’en conséquence il était entré en cette qualité au Conseil, le dimanche 15 octobre. » Pas un mot de Sartine et de sa démission. On commentait avec animation « ce silence extraordinaire, » et l’on citait cette phrase de l’Écriture : Nec nominetur in nobis, que son nom odieux ne soit plus prononcé parmi nous[4]. Quelques personnes bien informées affirmaient, d’un ton de mystère, que le