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dans ses bonnes grâces. » L’intermédiaire était donc heureusement choisi, et sa mission eut plein succès. Necker, qui connaissait Ségur et le considérait, donna son approbation sans réserve. Louis XVI, jusqu’à nouvel avis, fut tenu en dehors des résolutions arrêtées.

Il fallait maintenant avertir le principal intéressé, qui, confiné dans sa province et tout entier aux devoirs de sa charge, était fort loin de soupçonner le rôle que lui destinaient ses amis. Besenval attacha le grelot, et il fut d’abord mal reçu. « A la première ouverture que je lui fis, dit-il dans ses Mémoires, M. de Ségur me regarda avec le plus grand étonnement et me crut devenu fou. » Il se remit pourtant, écoula de sang-froid l’historique détaillé, que lui fit Besenval, des circonstances, des chances de succès de J’allaire, mais refusa de s’engager et donna les motifs de son hésitation : il savait « mieux servir que plaire, » expliqua-t-il en substance ; sa franchise un peu rude ne s’accommoderait guère des finesses de la politique, et, s’il ne craignait pas les responsabilités, ni même les périls du pouvoir, il se sentait fort éloigné des calculs, des intrigues de Cour. Ce qu’il ne dit pas à Besenval, mais ce qu’il confessa plus tard, c’est qu’il comprenait le danger de devoir son élévation à la seule volonté d’une femme, — fût-ce une souveraine, — et de ses favoris. Il prévoyait trop bien les difficultés qu’il aurait à maintenir son indépendance contre les fantaisies de l’une et l’ambition des autres. Un deuxième entretien ne put encore dissiper ses scrupules. Pour emporter son adhésion, il fallut les encouragemens, les instances de Choiseul, auquel il s’adressa dans sa perplexité. Le duc était trop clairvoyant pour négliger pareille aubaine. Castries et Ségur dans les conseils du Roi, c’était comme un commencement de revanche, l’espoir d’une victoire plus complète. Ses avis furent pressans, et ils furent écoutés[1].


VII

Tout était donc convenu, et l’on n’attendait plus que l’instant favorable, quand une faute de tactique faillit tout faire échouer. La Reine, dès qu’elle fut informée de l’acceptation de Ségur, crut habile de « tâter » le Roi. Dans un entretien tête à

  1. Souvenirs et anecdotes du comte de Ségur. — Lettres de Kageneck,