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partie contre le jeu anglais, émeut surtout le chef de l’expédition. Elle l’obsède au point de lui rendre insupportable l’inertie de l’attente. Il faut qu’il se jette entre l’œuvre qu’il veut sauver et la ruine qu’il prévoit. Le 25 octobre, il part lui-même pour le Caire où il avait d’abord envoyé Baratier. Là, dès son premier échange de communications avec le gouvernement, il comprend qu’elles sont trop lointaines encore. Il lance Baratier à Paris. L’heure arrive où on ne sera jamais assez près pour réveiller la conscience de ceux qui décident, leur crier la valeur de ce qui est entre leurs mains, leur dire les chances de le défendre, leur enlever l’excuse qu’ils ne savaient pas. Du moins, si l’on abandonne ce que lui et ses compagnons gardent encore, n’auront-ils pas été les chiens muets dont parle la Bible.

Marchand parti, Germain commande à Fachoda, et il semble que ce soit Marchand encore, tant l’attitude reste la même, tant continue l’effort pour lutter de vitesse avec le malheur et saisir la chance qui réparerait tout. Si les Abyssins paraissaient, quelle force pour notre gouvernement contre les exigences du Foreign Office et pour les défenseurs de Fachoda contre les troupes du Sirdar ! Le 11 novembre, Mangin part : il doit, par eau d’abord, puis par terre, s’avancer jusqu’à ce qu’il communique avec les Abyssins. Il peut, calcule-t-on, rapporter leur réponse et, qui sait ? les ramener eux-mêmes avant deux mois. Mais combien le délai parait démesuré et le secours illusoire à mesure que se précipitent les rumeurs du débat engagé et du désaccord persistant entre Paris et Londres ! Les journaux anglais parlent de la guerre possible, puis probable, puis imminente. Elle se prépare déjà à Fachoda. Les sautes d’humeur qui, dès le début, ont mêlé dans la conduite du commandant anglais la courtoisie et la raideur, ont, à chaque revirement, moins de cordialité et plus de méfiance. Il interdit à ses soldats de communiquer avec les nôtres, il détourne de notre marché les indigènes, il prend des dispositions ostensibles de combat et, le 2 décembre, le journal porte : « Pourvu que cela dure quelques jours, ici les fusils partiront tout seuls. »

Les fusils ne devaient pas partir. Sans eux la bataille avait été livrée et perdue. Le 4 décembre, Marchand et Baratier débarquent à Fachoda, pour faire connaître à leurs compagnons la ruine de leur œuvre commune. Bien de ce qu’ils ont acquis à la France ne lui restera, tout est abandonné, non seulement le