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quelque jour : tu sauras ce que c’est que d’appartenir corps et âme à un être unique, de verser son cœur, sa vie dans le cœur d’un homme qu’on aime. Vois-tu, quand il arrivait, quand il poussait cette porte, quand il s’avançait de son pas de velours, pendant que ses chers yeux me souriaient, ah ! j’étouffais un cri, je tendais les bras…

À ce souvenir, un sanglot plus violent la rejeta convulsée sur le canapé. Et Marcelle, impassible, contemplait cette souffrance humaine, qui mettait à nu la véritable nature de cette femme, cent fois plus faite pour aimer que pour peindre.

Pour la seconde fois, elle était en présence de cette passion qu’elle avait lue un jour dans les yeux extasiés de cousine Jeanne. Et l’émotion qu’elle en ressentait dépassait la pitié qu’aurait dû lui inspirer le désespoir de son amie. Elle n’était pas compatissante, ignorant la douleur et ayant encore, à dix-sept ans, cette sécheresse d’âme des enfans très repliés sur eux-mêmes. C’était une grande illusion de Nelly Darche de se croire tendrement plainte par Marcelle. Mais elle se soulageait à étaler sa peine devant la petite fille qui avait été, pendant des années, le témoin de son amour… Et elle contait que l’horrible rupture, qui lui arrachait la moitié d’elle-même, lui avait été signifiée par une simple lettre. Fabien était, paraît-il, fiancé depuis longtemps, et il allait se marier en province avec une jeune fille rencontrée à Paris, chez des cousins.

— Je te l’aurais montrée, sa lettre, ma chérie, si je ne l’avais brûlée dans la première folie de ma peine.

Marcelle dit enfin, dans une inconscience parfaite :

— Il vous reviendra peut-être.

— Ah ! si je l’espérais seulement ! fit Nelly ranimée à cette idée ; je n’en demanderais pas davantage…

À la fin de sa visite, comme elle était déjà sur le seuil de la porte, Marcelle prononça :

— Je suis admise aux Beaux-Arts.

Alors, ce fut un redoublement de pleurs. Comment ! voilà que cette petite devenait un personnage, et cette bonne nouvelle arrivait à un tel moment, quand Nelly ne savait plus en vérité ce qu’elle faisait, ni ce qu’elle disait ! Elle assurait pourtant :

— Que je suis contente ! ma chérie.

Le visage de Marcelle s’illumina. Ainsi chacune d’elles se