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Pourtant, dès qu’il est admis, le rôle de la marine dans la défense nationale s’efface. Vienne la guerre, nos vaisseaux devront se tenir enfermés dans les ports, ou s’offrir à la destruction, sauf à capituler après une honorable résistance. L’aviation navale, accessoire et auxiliaire de cette flotte-fantôme, ne serait alors qu’une coûteuse superfluité, comme d’ailleurs la flotte elle-même.

En fait, la question de savoir si l’entretien d’une flotte de combat est nécessaire à la France n’est pas si simple qu’on la puisse résoudre sans l’examiner d’un peu plus près. Elle a trois aspects : national, diplomatique et stratégique. Chacun d’eux est assez important pour mériter quelque attention.

Un rapport nécessaire existe entre la puissance d’expansion commerciale ou coloniale d’un pays, et sa puissance sur mer. Le bon sens l’indique, l’histoire le démontre. L’ascension et le déclin des peuples ont presque toujours accompagné l’activité et la déchéance de leurs forces navales. De nos jours, le souci de garder la mer ou d’y atteindre, d’en posséder les rivages, d’en exploiter les routes, est plus vif que jamais. Il fut la cause de la plupart des conflits récens, et nous le trouvons à la source de ceux que nous pouvons craindre ou prévoir. Sans flotte, la France n’aurait pas constitué son empire colonial.

Passons au point de vue diplomatique. Notre sécurité, la sauvegarde de nos intérêts dans les négociations avec les puissances, l’indépendance de notre action pour le développement de notre commerce extérieur, reposent sur l’équilibre des forces rivales de la Triple-Alliance et de l’alliance franco-russe assistée d’une entente cordiale avec l’Angleterre. Grâce à cet équilibre, l’infériorité numérique de notre armée en présence des armées de la Triplice, et même de l’Allemagne seule, est compensée. S’il venait à se rompre, laissant la France isolée, la situation de notre pays serait assez dangereuse, malgré tous les sacrifices qu’il pourrait faire pour sa défense ; car nos richesses, nos colonies, notre territoire même, éveillent des convoitises. Certains appétits sont prompts à invoquer les « fatalités historiques, » et l’honnêteté des peuples comme celle des individus peut fléchir à l’épreuve de trop fortes tentations.

Or la Russie ne craint guère qu’un empereur allemand renouvelle la campagne de Napoléon en 1812. Mais elle-poursuit un but, qui est de pouvoir sortir de chez elle, aussi bien par la