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d’observation que cette lucidité dont jouissent les maniaques ? Et n’a-t-on pas noté, jusque chez les fous, cette sournoiserie qui fait d’eux les spectateurs amusés de la terreur qu’ils inspirent ? Il s’en faut donc que l’interprétation de M. Vilbert soit absurde ; elle est au contraire fort ingénieuse ; seulement, quand il s’agit de Molière, pour peu qu’on raffine, on a les plus grandes chances de se tromper, son art étant fait, avant tout, de simplicité.

C’est ce qui éclate à la représentation. Comme ce rire sonne large et franc ! Comme il va droit au public ! Comme il se passe de commentaires ! Et comme il est bon, utile, et instructif de recevoir en pleine poitrine l’impression elle-même que produit la pièce vue aux chandelles, et sans conférence explicative ! Par suite même du culte dont nous entourons nos classiques, nous ne les lisons plus qu’avec les notes de tous les commentateurs. Ces notes éclairent le texte, — et parfois elles l’obscurcissent. A la scène, par l’effet de cette communication directe qui s’établit aussitôt avec le spectateur et qui n’est jamais plus intime et immédiate que quand on joue du Molière, toute cette surcharge disparaît, toute cette poussière s’évanouit, et l’œuvre ressort seule dans l’éclatante lumière de sa vraie signification.

Elle est toute gaieté. On nous a fait, depuis qu’il y a eu des romantiques, un Molière triste. Or voici une pièce où, comme parle Bossuet, l’auteur a passé des rires de la scène au tribunal de celui qui a dit : « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez ! » Molière a été atteint, au cours de la quatrième représentation, de la crise suprême qui allait l’emporter : l’image de sa mort plane sur toute la comédie. Le rire s’y achève en sanglot et le sanglot en hoquet. C’est un moribond qui l’a écrite, et qui ne se faisait sur son état aucune illusion. Comment y voir autre chose qu’une confession douloureuse de ses souffrances et de sa détresse, et aussi une vengeance telle quelle contre ces médecins qui ne parvenaient pas à le guérir ? On sait qu’il se jouait souvent lui-même sur « les affaires de son domestique. » Molière s’est peint, en quelque manière, en faisant le portrait de cet Argan qui feint le mort dans ce même fauteuil où Molière allait mourir… Telle est la thèse, vous la connaissez, et rien n’est plus faux. Molière ne prend eu lui-même et dans les circonstances de sa vie qu’un point de départ. Malade, il a été amené à réfléchir sur la maladie et sur la médecine. C’est un sujet qu’il a sous la main et qu’il n’a garde de laisser échapper, car il est pressé. Mais dès qu’il s’est mis en devoir de le traiter, l’homme s’efface, l’auteur reste : et il s’applique uniquement à en