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et, dès le mois suivant, il était arrivé à Marseille, tout frémissant d’impatience guerrière, avec la délicieuse perspective de pouvoir enfin réaliser le rêve généreux que nous avons vu s’allumer dans son cœur dix ans auparavant.


Cette fois encore, malheureusement, — car une mésaventure toute semblable lui était échue naguère à Londres, lorsqu’il y était venu pour s’engager dans l’armée colombienne, — un premier convoi de volontaires philhellènes était parti de Marseille deux ou trois jours avant son arrivée ; et bien que la ville se trouvât remplie d’autres volontaires, réunis là de toutes les parties de l’Europe, personne ne savait combien de temps l’on aurait à attendre l’occasion d’un nouveau départ. Du moins Elster avait eu le plaisir d’apprendre la présence à Marseille d’un certain Lasky, son ancien collègue de l’université d’Iéna, qui maintenant s’occupait à constituer un bataillon de Philhellènes allemands. Tout de suite il avait demandé son adresse, et était allé se renseigner auprès de lui.


Lasky vint au-devant de moi dans un costume extravagant, qui avait évidemment l’intention d’être grec. Il voulait à présent en imposer à son entourage par cette tenue hellénique, comme naguère à Iéna par sa tenue de « vieil Allemand. » Dans son imagination, il se voyait déjà promu, par l’acclamation unanime du peuple grec, au rang de général, sinon de généralissime ; et aussi nous accueillit-il avec une hauteur où le souvenir de notre ancienne camaraderie mêlait à peine une nuance légère de familiarité.

— Votre arrivée, messieurs, nous déclara-t-il, m’a déjà été annoncée par les comités de l’Allemagne du Sud. Je vous prie de vouloir bien me remettre vos papiers, afin que je puisse vous inscrire, conformément à votre rang et à votre condition, sur la liste des combattans volontaires pour la-grande cause hellénique !

— C’est que je n’ai pas d’autres papiers que mon passeport, répondis-je. et ne suppose pas qu’il m’en faille d’autres. C’est de mon plein gré que je compte me rendre en Grèce, pour y servir en qualité de médecin, ou bien, en tout cas, pour y mettre mes forces à la disposition de la cause nationale. Je suis venu à Marseille parce que l’on m’a dit que c’était ici que je pourrais le plus sûrement trouver une occasion pour la traversée : que si cette occasion ne se présente pas, j’aurai à chercher quelque autre moyen d’exécuter mon projet. Mais il me parait bien étrange que, dès aujourd’hui, l’on veuille assigner des rangs à des volontaires dont les aptitudes et le mérite ne pourront être reconnus que là-bas, sur le champ de bataille !

La mine de Lasky s’assombrit.

— Vous ne semblez pas tenir beaucoup à ma protection ! répliqua-t-il. Puissiez-vous ne pas avoir à vous en repentir !