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du xvie siècle, la troisième sa tunique aux dames des tapisseries. Elles passaient hiératiquement avec une préoccupation touchante de la beauté, qu’elles fussent ruskiniennes ou modern-style. Mais Marcelle avait toujours son allure de grande pensionnaire, qui lui donnait l’air d’une intruse dans ce milieu. À l’atelier, quand toutes les élèves s’uniformisaient dans la blouse, les coiffures savantes sauvegardaient encore les originalités personnelles. Ces chevelures noires ou blondes, celles où s’entremêlaient des velours, de l’or, de l’argent, des broderies, celles qui gardaient une simplicité virginale et voulue, celles qui découvraient des nuques blanches et fines, celles qui se tordaient lourdement sur un beau cou charnu, émergeaient de ce moutonnement des dos blancs à fronces serrées. Là encore la petite tête fine de Marcelle se faisait remarquer par quelque chose de puéril, un aspect d’écolière.

Seldermeyer, le patron qui aimait assez pronostiquer à l’égard des nouvelles venues, qui disait volontiers à la Russe, voisine de Marcelle, ou à la Niçoise au ruban cerise : « Vous avez un tempérament certain ; vous serez une coloriste, » restait perplexe et triste même devant les froides études de la petite Fontœuvre. « Encore une ratée de l’avenir ! » pensait-il sans doute. Et elle ne se rebutait pas, ne se distrayait jamais du modèle. Ses brosses, sur sa palette, faisaient un gâchis multicolore. Et la ruche pouvait bourdonner autour d’elle : ce qu’elle écoutait en elle-même, c’étaient toutes les théories de procédés qu’elle avait entendu clamer chez ses pareils par Nugues, Vaupalier, Juliette Angeloup, Nelly Darche : les taches, les points, l’empâtement, le clair-obscur, les complémentaires, les oppositions. Et à cela se mêlait la vieille méthode de Seldermeyer qui parlait un autre langage. Et ce n’était pas tout encore, car en outre de ces incertitudes sur la pratique même du métier, qui la laissaient affolée devant sa toile, elle souffrait encore de la formation de son goût artistique qui se développait alors péniblement.

Que fallait-il admirer, aimer, imiter ? Souvent, avant la fin de la séance, Marcelle se lavait prestement les mains, ôtait sa blouse, piquait dans ses cheveux les épingles de son canotier, et filait par la rue Bonaparte.

Là, elle flânait de boutique en boutique, à toutes les devantures des marchands d’estampes. Tous les chefs-d’œuvre de la peinture universelle défilaient alors devant ses yeux en repro-