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convenait d’ailleurs avec franchise, en s’excusant de sa « facilité » sur le malaise qu’elle éprouvait à voir des mines boudeuses et des visages maussades. « J’aime qu’on ne me quitte jamais mécontent, » confessera-t-elle au jeune comte de Ségur. Il faut reconnaître, toutefois, que, lorsqu’elle rencontrait une opposition un peu ferme, elle se rendait sans grande difficulté aux bonnes raisons qu’on lui donnait. « Dès qu’on avait le courage de lui résister, un alléguant le bien de l’Etat, reprend le même Saint-Priest dont j’ai cité le sévère témoignage, elle cessait d’insister. » Mais ce courage, qui l’avait auprès d’elle ? Des instincts bons et généreux, aucune volonté personnelle pour les mettre en usage, aucune direction extérieure pour suppléer à cette insuffisance, c’est toute la vie de Marie-Antoinette et le secret de son malheur.

Un autre contre-coup des événemens récens est le revirement qui s’opère en faveur du duc de Choiseul. Huit jours après la nomination de Ségur, le duc s’établit à Versailles, où il tient « un (Hat splendide, » où toute une petite cour gravite autour de lui. La Reine le reçoit fréquemment, recherche sa conversation d’une manière ostensible. Le Roi lui-même est presque désarmé. A l’un des « grands couverts » qui suivent l’arrivée du duc à la Cour, Louis XVI, pour la première fois de sa vie, lui fait un accueil fort gracieux, lui donne place « derrière son fauteuil, » lui adresse, de bonne grâce, la parole à plusieurs reprises[1]. Quelques semaines plus tard, Ségur, en constituant ce Conseil de la guerre qui fut une des innovations heureuses de son long ministère[2], y fait entrer des hommes tenus de longue date à l’écart : « Il le peuple, écrit un gazetier, des anciens amis de Choiseul. » Tous ces faits, remarqués, commentés à la Cour, font augurer que la rentrée aux affaires de l’ancien ministre est une des éventualités que tient en réserve l’avenir. Aussi déjà Choiseul voit-il voler vers lui des dévouemens et des hommages dont, depuis de nombreuses années, il avait perdu l’habitude.


Toutes les causes qui précèdent paraissaient concourir à l’affermissement de Necker. Bien vu de Marie-Antoinette et de sa « société, » soutenu par le parti Choiseul, il a maintenant,

  1. Correspondance publiée par Lescure, janvier 1781.
  2. Le marquis de Ségur conserva le portefeuille de la Guerre jusqu’au 29 août 1787.