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VII

Le 20 avril 1781, une « émotion extraordinaire, » qui ne fit que s’accroître pendant les jours suivans, éclatait soudainement au sein du Parlement de Paris. Dans toutes les « chambres de justice, » on ne voyait que magistrats assemblés en conciliabules, discutant et gesticulant avec animation. Les têtes étaient montées, les esprits exaltés. Dans plusieurs groupes, on entendait des propos inquiétans : les uns parlaient de réclamer la convocation immédiate « des princes et des pairs du royaume ; » d’autres rappelaient les temps héroïques de Maupeou, et se déclaraient prêts, plutôt que de céder, à subir un exil nouveau. Bref, comme écrit le chevalier de Pujol, « le feu était aux quatre coins du Palais. » Dans tous les entretiens revenait le nom de Necker, accablé de malédictions et chargé d’anathèmes[1] .

La cause de cette effervescence était certaine brochure qu’avaient reçue, le matin même, « six des membres les plus influens du Parlement de Paris, » parmi lesquels le premier président d’Aligre et le conseiller d’Eprémesnil, ennemis acharnés de Necker, et qui, les jours d’après, fut distribuée, par une main inconnue, aux deux cents magistrats. Cette brochure renfermait un assez long Mémoire au Roi sur les assemblées provinciales, que quelques personnes, au début, croyaient avoir été rédigé par Pezai, mais que l’on sut bientôt être tout entier de la plume du directeur général des finances. Ce Mémoire, disait-on, ne tendait à rien moins qu’à réduire tous les Parlemens à « la simple fonction de juges, » en leur enlevant celle de dépositaires et vérificateurs des lois, à leur ravir, par conséquent, leur prérogative essentielle. Et chacun frémissait à découvrir, ainsi publiquement dévoilées, « les vues criminelles de cet étranger, convaincu de calomnier la magistrature tout entière, d’inspirer à un jeune prince une mauvaise opinion des principaux Ordres de l’État et d’entreprendre l’entier bouleversement de la monarchie[2]. »

  1. Journal de Hardy. — Lettres du chevalier de Pujol. — Mémoires de Soulavie, et
  2. Mémoires de Soulavie. — Journal de Hardy. — Correspondance secrète publiée par Lescure.