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centralisation excessive, préconisait le même remède. Il comparait la France à une gigantesque araignée : « Grosse tête et bras maigres, » disait-il en sa langue imagée. Tout récemment, enfin, le marquis de Mirabeau avait soutenu des idées analogues avec sa verve débridée. Vers la fin du XVIIIe siècle, cette réforme, à vrai dire, était partout dans l’air.

Turgot, tout le premier, s’était préoccupé de cette question brûlante. Au moment de sa chute, il était, — on peut s’en souvenir[1], — en train d’élaborer un vaste projet de refoule des institutions du royaume, qui comportait, d’abord dans chaque paroisse, dans chaque province ensuite, suivant un ordre savamment gradué, certaines assemblées électives, dont la fonction serait d’organiser l’impôt. Il plaçait au sommet, et pour couronner l’édifice, ce qu’il appelait « la Grande Municipalité, » c’est-à-dire une espèce d’assemblée nationale sans attributions politiques. C’est cette partie de son programme qui avait surtout excité les appréhensions de Louis XVI, qui l’avait fait, comme il disait lui-même, « se roidir contre cette nouveauté. » C’était à ce propos qu’en marge du mémoire présenté par le contrôleur il inscrivait cette espèce de protestation : « Il ne faut pas être fort savant, pour juger que le présent mémoire est fait pour établir en France une nouvelle forme de gouvernement et pour décrier les institutions anciennes, que l’auteur suppose être l’ouvrage de siècles d’ignorance et de barbarie[2]. » Les sentimens ainsi exprimés par Louis XVI avaient été l’une des causes primordiales du brusque renvoi de Turgot.

En face de ces récens souvenirs, il fallait à Necker une belle dose de courage pour reprendre, deux ans plus tard, bien que sous une tout autre forme, des idées analogues et pour réclamer, à son tour, l’institution d’ « assemblées provinciales, » qui, placées près de l’intendant, lui faisant équilibre, surveilleraient les travaux publics, répartiraient les taxes et présenteraient des vœux dans l’intérêt local ou général. Mais, plus habile et plus politique que Turgot, il se gardait de proposer en bloc une transformation radicale de l’administration française. Il se bornait à demander que l’on fit, dans quelques provinces, un essai provisoire du système qu’il imaginait. Ainsi, expliquait-il au Roi, « les personnes qui désirent cette nouvelle forme

  1. Voir le Couchant de la Monarchie, t. I, p. 319 à 321.
  2. Document publié par Soulavie dans ses Mémoires sur le règne de Louis XVI.