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À cinq heures, le valet de chambre vint le chercher ; Mlle Fontœuvre l’attendait en bas. Cette fois, c’était au tour de cousine Jeanne d’être sortie. Marcelle espérait que Nicolas la recevrait enfin dans son atelier. Elle rêvait d’un lieu inaccessible où l’intimité près de lui serait si délicieuse, où elle le connaîtrait vraiment ; mais il descendit et la garda dans le petit parloir de sa femme.

Qu’elle était pâle et tremblante ! Il remarqua cette extraordinaire blancheur de sa peau de blonde qui lui donnait un petit air immatériel…

— Vous voyez, je suis venue, lui dit-elle, oppressée à ne pouvoir parler ; que faut-il faire pour être changée ? Je vous écoute.

Vraiment aujourd’hui il se sentait une grande curiosité, presque un attrait vers cette enfant. Il était aussi un peu troublé à la pensée qu’à partir de cet instant, il possédait une âme entre ses mains, une âme qu’il pourrait modeler à sa guise. Il hésita, puis il lui dit :

— Je ne suis pas un apôtre, Marcelle ; je ne vous catéchiserai pas. Puisque vous avez été élevée en dehors de la foi chrétienne, et que je ne puis vous l’imposer, je vous laisserai chercher ailleurs vos sources. Mais que ce soit toujours dans les conceptions les plus élevées, les plus surhumaines. Tenez, étudiez la mythologie grecque, lisez l’Iliade. Vivez quelque temps au-dessus de la vie, parmi les géans.

Elle ne répondait pas, ne le regardait pas. Elle était assise près de lui, dans sa robe de toile si étroite, d’où sortait son cou d’un blanc de pastel. Et soudain elle prononça :

— Est-ce que je puis vous dire tout ?

— Mais oui, Marcelle, vous savez bien que je suis votre vieil ami.

Elle s’intimida encore une seconde, et cette gène puérile d’un enfant, qui essaye de se révéler et n’y parvient pas, était charmante. Quelle fraîcheur de petite fille, quelle nouveauté de printemps, quel mystère insondable !

— Vous savez, je ne suis pas bien heureuse, prononça-t-elle d’une voix sans timbre et tremblante. Papa et maman sont très bons, ils m’aiment beaucoup… seulement ils ne comprennent pas comme vous, ils ne sont pas artistes comme je voudrais l’être, je ne peux pas l’expliquer… je le sens…