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les cheveux défaits ; Sabine souriante et paresseuse, qui n’attend rien et vit nonchalamment ; Sabine qui est abandonnée au cours des heures indifférentes. Par les chaudes soirées, elle sort et s’assied au pas de sa porte, afin de respirer l’air nocturne. Pareillement, Christophe et sa mère, Louisa. Mais bientôt Louisa remonte chez elle et se couche. Sabine et Christophe, demeurés seuls, rêvent côte à côte. Des enfans jouent : des groupes vont et viennent, bavardant à demi-voix. On entend un piano ; un peu plus loin, une clarinette. Puis les boutiques de la rue, l’une après l’autre, se ferment ; les fenêtres s’éteignent ; et le silence gagne de proche en proche, apportant l’odeur des prairies et des giroflées. Christophe et Sabine s’aiment dans le silence odorant du soir.

Ils se le dirent l’un à l’autre, quand ils l’eurent deviné mutuellement. Ils s’aimèrent durant l’automne et tirent une escapade. Mais ils furent des amoureux émus d’un grand désir, non des amans. Le sort ne le voulut pas. Et ils revinrent.

Christophe dut s’en aller, pour un temps, pour l’une de ces corvées qui ont l’air d’interrompre par mégarde le destin et qui, — mais on le voit plus tard seulement, — sont le destin.

Ils se séparèrent un dimanche, vers la fin de la journée. C’élait dans le petit jardin de la maison pauvre. Il n’y avait qu’une barrière entre eux. Par-dessus la barrière, Christophe tenait dans sa main la main de Sabine. Ils causèrent. Sabine, ayant dégagé sa main, resserra son châle sur ses épaules. Elle était frileuse. Il lui demanda : « Comment allez-vous ? » A peine répondit-elle. Et ils se regardaient, sans beaucoup parler. Entre eux, il y avait la barrière, et aussi le prochain départ de Christophe, et aussi tous les pressentimens qui environnent l’idée de l’absence. Elle dit, en frissonnant : « Christophe !… » Et tous ses pressentimens, avec tout son amour, étaient dans ce seul mot. Une porte s’ouvrit ; des voisins arrivaient. Sabine et Christophe n’eurent pas le temps de se dire : « Au revoir… » Le destin ne le voulut pas, le destin qui ne mentait pas, car ils ne devaient pas se revoir. Quand fut Christophe de retour, Sabine était morte, ayant pris froid le jour de l’escapade ; — Sabine entrevue dans la pénombre ; Sabine du soir doux et silencieux.

Auprès d’elle, Rosa, laide et qui dépense, à n’être pas aimée, plus d’amour encore que de jalousie. Hélas ! auprès d’elle aussi, Ada, belle fille pour les parties de campagnes et les folies au bord de l’eau.

A quelque distance, Antoinette, qui est de chez nous, une petite provinciale de France, raisonnable et sensible, raisonnable sans se