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une même intransigeance : elle sera résolue au contraire si l’Europe s’emploie à préparer les transactions nécessaires et à les faire accepter. Des deux côtés, il faut renoncer aux sentimens d’amour-propre, oublier les griefs du passé, renoncer à une hégémonie devenue impossible, ne pas chercher à venger de vieilles injures, toutes choses qui compliquent singulièrement les questions les plus simples et, à plus forte raison, celles qui ne le sont pas. De cette dernière catégorie est celle qui s’agite en ce moment, car si étouffer la Serbie serait odieux, troubler l’équilibre de l’Autriche, si nécessaire à la paix de l’Europe, serait criminel.

La justice oblige d’ailleurs à reconnaître les sacrifices qu’a faits l’Autriche, nous voulons dire les renoncemens auxquels elle paraît bien avoir consenti sur ses prétentions antérieures. On lui a depuis longtemps attribué la ferme intention d’aller à Salonique ; peut-être cela n’est-il pas tout à fait exact, mais on l’a dit si souvent que le fait est devenu une de ces vérités d’opinion qui finissent par prendre la consistance d’un axiome. On ne sait pas encore aujourd’hui à qui sera Salonique. Sera-ce à la Grèce qui y est ? Sera-ce à la Bulgarie qui pourrait vouloir y être ? Ne sera-ce à personne ? En tout cas. ce ne sera pas à l’Autriche et elle semble bien en avoir pris son parti. Il y avait aussi le sandjak de Novi-Bazar qu’elle occupait militairement depuis plus de trente ans en vertu du traité de Berlin et qu’elle a rétrocédé à la Turquie au moment de l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie. Beaucoup croient que le sandjak était le couloir par lequel l’Autriche comptait aller un jour à Salonique ; d’autres estiment que c’était un tampon placé entre le Monténégro et la Serbie pour les empêcher de se joindre : à ce dernier point de vue, il importait peu que le sandjak appartînt à l’Autriche ou à la Porte. Il est aujourd’hui occupé par les Serbes, et il semble bien encore que l’Autriche en ait pris son parti. Qu’arrivera-t-il plus tard du contact du Monténégro et de la Serbie ? Bien hardi qui pourrait le dire. Hier les deux pays se jalousaient et se détestaient : quels seront demain leurs sentimens réciproques ? Peut-être était-ce leur rendre service que de les séparer. La Porte ne peut plus le faire, puisque le sandjak lui échappe, ni l’Autriche, puisqu’elle y a renoncé en 1909. Sans cet abandon, certains événemens auraient pu tourner autrement qu’ils ne l’ont fait et, à ce point de vue, la politique du comte d’Æhrenthal pourrait bien n’être pas jugée dans l’avenir comme un chef-d’œuvre. Donc l’Autriche a renoncé à ses espérances sur Salonique et sans doute à sa politique au sujet du sandjak : ce sont là des actes de haute raison dont on aurait tort de