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beaucoup pour son esprit léger que l’idée d’une toile, la façon de traiter un fond, de disposer des fleurs dans une corbeille suffisaient à absorber. Elle parvenait toujours à se tirer d’affaire. Les Dodelaud, ou les fils Vaugon-Denis, plaçaient de temps en temps un tableau du ménage, ou bien, de-ci, de-là, procuraient un portrait. Mais après combien d’angoisses arrivaient les cinq cents francs nécessaires ! François gagnait maintenant cinq louis par mois chez un architecte ami de son père. Mais, au printemps, il avait saigné ses parens pour offrir à la comtesse Oliviera un voyage en Suisse qu’elle s’était butée à obtenir de lui. Il lui restait attaché par faiblesse, par veulerie, suivant ses caprices avec une sorte d’écœurement. Et la vieille Juliette Angeloup, qui se complaisait à cette fade idylle, disait avec délice à Jenny Fontœuvre, lorsque sa fille avait entraîné le malheureux garçon dans quelque extravagance :

— Eh bien ! voilà que les enfans ont encore fait des folies.

Jenny souriait, par complaisance. Cette maîtresse détraquée ne lui convenait guère pour son fils, d’autant moins qu’elle ne lui trouvait ni esprit, ni cœur. Mais c’était ainsi. Qu’y faire ?

Hélène arriva de Saintes le lendemain, les paupières encore rougies d’avoir quitté la chère grand’mère. C’était une belle grande fille aux yeux noirs, qui ressemblait à son père. Marcelle et sa mère trouvèrent qu’elle avait extrêmement bonne mine, mais que sa toilette datait un peu. Elle portait une de ces robes provinciales si bien cousues qu’on ne peut ni les déformer, ni les user, et qu’il faut bien mettre deux années de suite, tant elles gardent bonne façon. Sa fraîcheur faisait ressortir la pâleur parisienne de la maigriote Marcelle.

— Tu es bachelière, toi, lui dit François, tu as de la veine.

— C’est bien, cela, ma petite Hélène, intervint Pierre Fontœuvre, d’être une femme savante et d’avoir gardé ta simplicité de jeune fille.

— La belle affaire aujourd’hui d’être bachelière, reprit Hélène avec un bon rire.

Elle devait occuper l’étroit cabinet où couchait Mme Trousseline lors de ses voyages à Paris. Elle passa tout un jour à y ranger avec tant d’ordre ses bibelots et ses livres, qu’elle trouva de la place pour tout et qu’on aurait dit une véritable chambre. Ce qui ravissait les parens, c’était cette aisance avec laquelle on la voyait passer des occupations féminines les plus vulgaires