Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/821

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

juger pourtant qu’il prit l’affaire trop au sérieux, en exigeant du Roi qu’une commission, prise dans le Cabinet et composée de trois de ses collègues, entendit ses explications et vérifiât ses comptes. Disons qu’il reçut sur ce point les satisfactions désirables. Les trois arbitres désignés furent MM. de Maurepas, de Vergennes et de Miromesnil, tous ennemis notoires de Necker. Celui-ci justifia ses chiffres, produisit les pièces authentiques, réfuta point par point les allégations du libelle. Ses auditeurs ne firent aucune réplique et admirent tout sans objection. Le seul Maurepas, dit Marmontel, accueillit ces explications « avec un air d’intelligence, comme un homme qui en sait long, mais qui ne veut pas parler[1]. » Necker eût pu s’en tenir là ; mais il jugea insuffisante cette réparation à huis clos ; il demanda, comme témoignage public « de son innocence reconnue, » la suppression du calomnieux écrit, le renvoi du sieur Bourboulon de la maison du Comte d’Artois.

A vrai dire, pour ce prince, la situation paraissait assez embarrassante. Après l’encouragement donné ouvertement par lui aux auteurs du libelle, tous deux ses familiers, tous deux à son service, une mise en cause aussi directe ne lui permettait plus le commode refuge du silence. Soutenir Bourboulon jusqu’au bout, malgré la sentence des arbitres, ou le chasser comme un coupable, c’était pour lui deux choses également difficiles. Il prit un moyen terme et il chargea son « chancelier, » le sieur Auget de Montyon, — bien connu par la suite pour ses fondations charitables, — d’écrire en son nom à Necker une lettre dont voici les termes[2] : « J’ai rendu compte à Mgr le Comte d’Artois du mémoire par lequel le sieur Bourboulon, son trésorier, attaque la vérité de l’état des finances du Roi, que vous avez rendu public par ordre de Sa Majesté. L’étude que j’ai faite depuis longtemps des objets discutés dans ce mémoire m’a convaincu que, dans plusieurs articles sur lesquels j’ai des notions certaines, il est tombé dans des erreurs évidentes. Je l’ai fait connaître à Mgr le Comte d’Artois, qui m’a chargé de vous témoigner son estime et son affection et de vous assurer qu’il apprenait avec plaisir que le sieur Bourboulon était dans l’erreur. » Le prince, après ce faible désaveu infligé à son trésorier, lui maintenait son emploi et lui conservait ses bonnes

  1. Mémoires de Marmontel.
  2. Le Salon de Mme Necker, par le comte d’Haussonville, tome II.