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les calomnies dont Necker est l’objet, et il les désapprouve nettement. Il indique, pourtant, en passant, le « grand inconvénient » qu’entraînent « ces querelles scandaleuses, » pour « le bien du service » et pour l’autorité du Roi. Il entre ensuite dans le vif du sujet, et il attaque ouvertement Necker comme protestant, comme étranger et comme innovateur. Voici, en résumé, ce qu’il entend par ces griefs. Quant au point de vue religieux, — et nous savons qu’ici il exagère singulièrement les choses, — Vergennes présente « la masse du clergé de France » comme « effrayée de voir son ennemi naturel » placé et maintenu par le Roi à la tête des finances ; car, dit-il, « malgré l’étude approfondie de M. Necker pour ne pas se compromettre avec le premier Ordre de l’État, les élémens des deux religions sont trop opposés » pour ne pas entretenir, malgré les apparences, une défiance réciproque, un état de conflit latent. Il montre ensuite Necker, — et l’injustice est encore plus flagrante, — poussé, comme malgré lui, de par son origine, à quelque complaisance envers les nations étrangères, notamment envers celle qui est notre mortelle ennemie, et il signale « les éloges qu’on lui donne dans une partie du Parlement britannique, dont toutes les fractions se réunissent quand il faut nous haïr et nous nuire. » De là provient sans doute, — bien que Vergennes glisse rapidement sur ce point délicat, — l’instinctive tendance de Necker à se poser en adversaire de la guerre avec l’Angleterre, à prôner, à tout prix, le rétablissement de la paix. On mesure la portée d’une telle insinuation, l’impression qu’elle put faire sur l’âme molle et crédule du Roi.

Mais l’argument principal de Vergennes, celui qui, en diverses formes, revient constamment sous sa plume, c’est le péril pressant que fait courir, dit-il, à l’existence même du royaume l’effrénée passion de changement et de bouleversement qui respire dans tous les propos du directeur général des finances et qui dicte tous ses projets. L’intention primitive du Roi n’était, sans aucun doute, que de faire du banquier genevois « un simple directeur du Trésor royal, en état de dépendance. » Cependant « peu à peu M. Necker s’est relevé de cette première situation, « jusqu’à prétendre diriger toute l’administration française, et voici maintenant qu’il aspire à de « nouvelles faveurs, » qui augmenteront encore cette puissance usurpée. Quel usage fait-il donc du pouvoir que le Roi lui