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déclarant que l’ouvrage formait deux volumes. Enfin, il ajoutait qu’Aimée de Coigny n’avait fait tirer son roman qu’à vingt-cinq exemplaires. Mais le livre n’en demeurait pas moins introuvable, et M. Lamy lui-même ne parvenait pas à le découvrir. « Puisqu’il n’y avait plus de roman dans sa vie, disait-il de son héroïne, elle en tira un de son imagination, et écrivit Alvar. Je n’ai pu retrouver le livre. Elle ne l’avait édité qu’à vingt-cinq exemplaires. Si son pied fin laissa voir vin bout de bas bleu, on ne pouvait mettre dans le geste plus de réserve. »

Les choses en étaient là quand, le 24 septembre dernier, fut mis en vente, aux enchères publiques, tout ce qui restait du mobilier et de la bibliothèque du château de Coigny, en Normandie. D’heureux chercheurs, qui sont en même temps d’érudits libraires, MM. Duchemin frères, y découvrirent et purent acquérir cinq exemplaires brochés du précieux roman, évidemment tout ce qui restait du tirage limité du livre. C’est l’un de ces exemplaires que j’ai entre les mains. Feuilletons-le donc, et tâchons d’en indiquer l’intérêt. L’ombre légère, — oh ! bien légère ! — de la Jeune Captive ne saurait s’en plaindre.


Alvare est anonyme. Le livre, de cinq cents et quelques pages, porte pour épigraphe cette pensée de La Rochefoucauld : « Toutes nos qualités sont incertaines et douteuses en bien comme en mal, et elles sont presque toutes à la merci des occasions. » L’ « épitre dédicatoire » est courte, et amusante : « Ne rejetez point Alvare !… » — on dit aujourd’hui : Lisez-moi ! — Si le roman eût été réellement publié en son temps, je ne sais si on l’eût « rejeté, » ou s’il aurait eu au contraire un véritable succès de librairie, — il nous est si difficile de nous représenter exactement les goûts du public d’autrefois ! Tel qu’il est, regardons-le avec des yeux d’aujourd’hui.

Disons-le sans réticence. Ce n’est pas un chef-d’œuvre qu’Alvare. Cela ne vaut, — pour prendre des œuvres de la même époque, — ni Atala, ni René, ni même le Dernier Abencerage, ni Adolphe, ni Oberman, ni Delphine ou Corinne, ni même Ourika ou Edouard, les deux romans trop peu connus, à mon gré, de Mme de Duras. Le livre est trop long ; de nombreuses négligences de composition nous avertissent que nous avons affaire à un écrivain quelque peu novice, et qui ne sait pas encore très bien son