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enfant trouvé que son père supposé, désireux à tout prix d’un héritier mâle, a substitué jadis, au moment de sa naissance, à une fille unique qu’il a envoyée en Calabre. Le Roi, loin de lui en vouloir de cet aveu, pour le récompenser de ses services et de sa franchise, le nomme grand d’Espagne, lui conserve son titre de marquis, mais l’autorise à se retirer dans l’une de ses terres. Là il semblerait qu’Alvare, entre sa femme et son fils, dût couler désormais des jours pleins d’une joie sans mélange. Mais son inquiétude le poursuit encore. Un jour, il disparait, laissant tous les siens dans une angoisse mortelle. On apprend enfin que, pris de remords, il est allé rejoindre en Italie où il l’avait fait transporter et garder secrètement, pour pouvoir épouser Louise, sa première femme qui n’est pas morte. Et il meurt de douleur, de repentir et d’amour, en prononçant le nom de Louise, la seule femme qu’il ait jamais aimée. Louise meurt à son tour de désespoir, après avoir lu le Journal qu’il lui a laissé, incapable de survivre à l’homme qu’elle a uniquement et si passionnément aimé, et qu’elle brûle d’aller rejoindre.


On le voit, c’est un long roman d’amour et de passion qu’Alvare, et un roman bien romantique. C’est bien le roman d’une femme qui n’a vécu que pour l’amour, et qui, trop aisément, croit et voudrait faire croire qu’il n’y a que cela au monde, et que sans l’amour la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. « Ah ! ma Louise, notre Dieu est celui de l’univers ; c’est à lui qu’est soumise la nature entière ! Entends-tu sa voix ! !… aimer ! aimer ! tel est son ordre suprême ! ce mot sacré est répété par toute la création ! » Et n’est-ce pas déjà, en plate prose, mais avec de curieuses rencontres d’expression, le thème que développera plus tard Musset, dans des vers célèbres :


J’aime : voilà le mot que la nature entière…


Ailleurs, à propos des couvens de femmes, ne croirait-on pas lire une première ébauche de la fameuse tirade de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour : « Ah ! convenez-en, Théodora, reprit avec feu le marquis, l’amour, son ivresse, les fautes, les crimes mêmes auxquels il peut pousser, ses larmes, ses tortures, valent mieux que la triste sérénité des âmes calmes et impassibles ! Elles ne craignent pas la mort ! je le crois ; elles ne