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Au point de vue de la liberté, il est bien évident que refuser au père de famille le droit de laisser son bien ou la plus grande part d’icelui à l’un de ses enfans est une mainmise de l’Etat sur le travail libre de l’individu. L’Etat dit à l’individu :

— Pour qui travailles-tu ?

— Pour moi, pour agrandir ma personnalité et pour me faire plus libre.

— Soit ; mais, après toi, pour qui travailles-tu ?

— Pour celui de mes enfans que je jugerai qui me continuera le mieux.

— Non ; tu dois travailler également pour tous tes enfans.

— Alors, ce n’est pas moi qui reste, c’est vous !

— Oui, évidemment.

— Donc, vous considérez ma propriété comme vous appartenant.

— Sans doute.

— C’est le « droit éminent de propriété » que l’ancienne monarchie, que la monarchie absolue s’attribuait sur tous les biens de ses sujets.

— Parfaitement !

— Je ne me croyais pas à ce point de l’autre côté de 89.

— Tu croyais donc qu’il y avait quelque chose de changé ?

— Oui.

— Tu es naïf. Il y a bien quelque chose de changé, mais ceci seulement que l’ancienne monarchie, tout en proclamant son droit éminent de propriété, respectait le droit d’aînesse, tandis que nous, nous l’abolissons.

— Ah !

Au point de vue de la moralité, il résulte du partage obligatoire que le père de famille peut-être travaille plus quand il a plusieurs enfans, voulant assurer à chacun une part suffisante encore ; mais peut-être aussi travaille moins, précisément en considération de ce partage et se disant qu’il est inutile de se donner tant de peine pour un résultat qui sera toujours si mince ; et ne soignant pas un domaine qui sera partagé ou plutôt qui, pour être partagé, devra être vendu ; en tout cas, travaille avec moins de goût, avec moins d’amour, comme aurait travaillé avec moins de goût et moins d’amour un ouvrier du moyen âge qui aurait été sûr qu’aussitôt après sa mort la cathédrale à laquelle il travaillait serait démolie.