Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/917

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout se réunit pour ne nous laisser aucun doute : Laurent Bouguet est l’amant d’Edwige. Tel est le fait initial, la donnée première sur laquelle est échafaudée toute la pièce. Un mari a trompé sa femme, la femme est avertie ; mais cet homme et cette femme ne sont pas des gens ordinaires, de pauvres gens comme nous ; ce sont des êtres supérieurs, dégagés de nos préjugés, placés au-dessus des vaines contingences : comment vont-ils se comporter ?

Une première scène s’impose : la scène d’explications entre le mari et la femme. M. Bataille ne nous la fait pas attendre. Il possède à fond son métier et va droit au but. Et nous savons, nous, comment la scène tournerait entre personnages pétris du limon commun. Le mari nierait sur toute la ligne. N’avouez jamais ! a dit, à l’adresse de tous les maris coupables, un criminel fameux. La femme, un peu réconfortée par l’assurance de cette dénégation, irait au plus pressé et au plus sûr, qui est de marier sa rivale présumée… Mais ce mari est un « flambeau de l’humanité, » et cette femme, unique dans le siècle et peut-être dans les siècles, est l’honneur de son sexe. Écoutons-les… A brûle-pourpoint et pour en éprouver l’effet sur son mari, Mme Bouguet propose l’idée qui vient de lui être suggérée : marier Edwige avec Blondel. Il y aurait bien une objection ; Edwige, qui arrive d’une vague Hongrie, a eu dans son pays une aventure : c’est une jeune fille avec tache. Mais ce qui aurait de l’importance dans un autre milieu, n’en a pas dans celui-ci : nous sommes entre intellectuels. Chez les intellectuels, il parait qu’une jeune fille avec tache en vaut une autre. C’est bien la preuve qu’ils ne pensent ni ne sentent aucunement comme nous. Surprenant chez son mari un certain trouble, Mme Bouguet lui pose nettement la question et fait appel à sa loyauté : « Laurent, promets-moi que tu me diras la vérité. Peux-tu me jurer qu’entre Edwige et toi il n’y a rien eu ? Au cas où tu aurais cédé à une surprise des sens, je suis de taille à entendre un tel aveu. Je suis la compagne de tes idées : je ne m’occupe pas des moindres choses. » Laurent Bouguet jure ses grands dieux qu’il n’y a rien entre la jeune fille et lui ; il ne sait de quoi on lui parle ; il ne comprend rien à cette absurdité : il est abasourdi… Et donc, il ment, il ment avec effronterie, il ment comme mentirait à sa place tout mari qui aurait une petite amie, et qui n’aurait inventé aucun sérum… Cependant Mme Bouguet insiste pour marier Edwige et pour brusquer le mariage. Sur l’heure, elle va la faire venir, savoir d’elle si elle est « susceptible d’aimer » Blondel. (« Susceptible d’aimer… » est de bien mauvaise langue, et détonne dans une pièce où son auteur a certainement voulu faire un effort de