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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/924

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aboutir à celle de l’esprit. Laurent Bouguet fait le chemin inverse. C’est l’homme qui longtemps n’a vécu que par le cerveau, et chez qui sur le tard s’éveille la sensualité. Toute son œuvre est compromise par cette tardive apparition de la bête… Mais, en vérité, tant de dévergondage tient-il dans sa petite aventure, telle qu’elle nous est contée ? Car il est facile de voir qu’Edwige s’est jetée à sa tête : il a cédé par une faiblesse passagère et sans lendemain. Il n’a pas été le séducteur qui fait ensuite épouser à un ami la jeune fille dont il a abusé. Edwige avait eu un premier amant ; sa liaison avec elle n’a été qu’une passade : c’est fort différent. Pour cette brève amourette, on l’insulte, on le déshonore, on déchire ses travaux et finalement on le tue. Trop est trop. Nous en arrivons à le plaindre. Nous trouvons qu’il n’avait pas mérité un tel châtiment. La pièce perd de sa signification et de sa portée. Qu’est-ce d’ailleurs au juste qu’elle signifie ? J’en aperçois plusieurs interprétations qu’on pourrait soutenir et pour lesquelles on pourrait parier à chances égales. L’impression dernière est confuse et obscure.

Les Flambeaux sont très bien joués. M. Le Bargy, que nous regrettons et même que nous déplorons de ne plus trouver à la Comédie-Française, prête son autorité au rôle déplaisant, difficile et ingrat de Laurent Bouguet. M. Huguenet, éminemment sympathique, a eu des accens de passion vraie et de douleur émouvante dans le personnage de Blondel. Mme Suzanne Desprès, dont je n’aime guère la diction traînante, a composé avec largeur et simplicité la figure austère de Mme Bouguet. Mlle Yvonne de Bray, qui a un rôle tout en sanglots, sanglote à ravir. Et M. Jean Coquelin se tire comme il peut du rôle à peu près inutile et souvent déclamatoire du littérateur Herner.


On a de tout temps plaisanté l’Académie française. Cela date de la fondation. Les Quarante n’étaient pas encore au complet, que déjà Saint-Évremond les mettait en scène dans sa Comédie des Académistes, illisible aujourd’hui, mais qui lit rire à l’époque. Le règlement de la Compagnie n’ayant jamais changé, depuis l’origine, les plaisanteries, elles non plus, n’ont pas changé et sont restées telles qu’à l’origine. Elles amusent toujours. On les connaît ; on les salue au passage, comme de vieilles connaissances. L’Académie, qu’on croit prude et qui est philosophe, se réjouit de cette douce familiarité. Elle comprend que rien ne saurait être plus précieux pour elle et plus flatteur. Le plaisir que trouve le public même illettré à entendre parler d’elle, est un signe certain qu’elle jouit d’une popularité dont bénéficient