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coûteux des fêtes locales ; sous des ramadas (treillis de verdure), aux sons de la guitare, les couples dansent la curca, qui n’est pas du tout, en son principe, le déhanchement brutal des professionnels de music-hall, mais tout au contraire un rythme lentement berceur et enveloppant. Le Chilien, qui va souvent chercher de l’ouvrage au dehors, par exemple en Argentine, ne part jamais sans esprit de retour ; lorsque les groupes de peones, rentrant chez eux, traversent la frontière, ils expriment bruyamment leur plaisir par des « Viva Chile ! » qu’accompagne un renfort joyeux de jurons et de gros mots ; il arrive que des Chiliens de bonne éducation, entraînés par la contagion, crient d’aussi bon cœur que les terrassiers, et dans le même langage, mais le mouvement est si spontané, si sympathique, qu’il faudrait être bien prude pour s’en scandaliser.

Le clergé, au Chili, est très puissant encore ; lorsqu’un malade, dans la campagne, demande le viatique, plusieurs parens ou voisins, à cheval, partent pour chercher le prêtre au plus prochain village ; celui-ci monte en voiture, si les chemins le permettent, à cheval dans les autres cas ; et les cavaliers le conduisent processionnellement, chapeau bas, jusqu’à la maison du moribond ; dans certaines villes, un carrosse spécial, peint de couleurs voyantes, est réservé au prêtre qui porte le Saint-Sacrement ; tous les passans le saluent et les soldats lui présentent les armes. Les dames ne doivent pas entrer à l’église avec des chapeaux ; leur tête est coiffée du manto, capuchon presque monastique, uniforme pour toutes les classes sociales… en apparence et d’un peu loin, tout au moins, car la coquetterie féminine n’est jamais à court de gracieuses subtilités. Le catholicisme, de ce côté des Andes, est resté plus formaliste, on dirait volontiers plus archaïque qu’en Argentine. Au-dessus de la porte du marché de Valparaiso, on lit une inscription, pas très ancienne, car elle est datée de 1863, qui est ainsi conçue : Domini est terra et plenitudo ejus. Tout cela est d’un peuple encore jeune, et dont la fraîcheur même est savoureuse ; ajoutez la bonne grâce et la simplicité pleine d’aisance de l’accueil réservé à l’étranger, pour peu qu’il soit présenté, un sens général de la vie de famille, des goûts d’artistes et de lettrés dans la société des dirigeans, en somme un ensemble de qualités qui se résument en une véritable séduction.