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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/224

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rayonnante apparition, d’un émoi religieux. Tout était paisible, tout est bouleversé : l’a me des nautoniers, celle de la jeune femme et celle des mers. Alors, avec les pêcheurs éblouis, on dirait que la musique elle-même s’abuse et qu’enivrée de son erreur, de son égarement divin, elle acclame, elle adore Astarté, naissant de l’écume des flots.

On aimerait de rechercher un jour les sentimens, les sensations et les spectacles, autrement dit les ordres divers de la pensée, de la vision aussi, dont un Saint-Saëns a créé des représentations sonores. N’est-ce point en somme à cette création que le talent, voire le génie des maîtres se reconnaît et se ramène ? Ce jour-là, des pages comme celles que nous venons de rappeler et de réunir, compteront parmi les plus purs hommages que la musique moderne et française ait rendus au génie de l’antiquité.

Venons enfin à Déjanire. Si, pour y arriver, nous avons pris le plus long, nous arrêtant à des œuvres antérieures, mais, parle sujet au moins, similaires, ce n’est pas avec le dessein d’en esquiver ou d’en abréger l’étude. La forte tragédie lyrique de M. Saint-Saëns n’a pas besoin de ces précautions, de ces ménagemens, pareils aux mensonges que Renan jadis appelait « d’eutrapélie, » et qui ne trompent pas.

Sous sa forme première, aujourd’hui retouchée, Déjanire se rattache en notre mémoire à des impressions pittoresques : un été du Midi, la petite ville de Béziers en fête, et, sous les fenêtres du plus aimable des hôtes, pendant un banquet, le passage de certain « Chameau, » bête locale et traditionnelle un peu parente de la Tarasque provençale. Il nous souvient encore, après le festival, d’une visite au généreux poète Henri de Bornier, en son mas voisin d’Aigues-Mortes, caché sous les platanes et les lauriers-roses. Un jour, on allait voir la ville de saint Louis et la tour de Constance, sous sa robe de pierre que le temps a faite d’or. Un soir de lune, au bord d’une mare, des Bohémiens étaient campés et jamais scène plus simple, par une nuit plus belle, n’eut plus de grandeur et de majesté. Quant à la musique de Déjanire, exécutée dans les arènes, en plein air, nous ne l’avions guère entendue. Cette fois-ci, la salle même de l’Opéra lui fut moins funeste, et n’en a pas tout dévoré.

Faut-il, ayant égard à la décadence des études classiques, rappeler le sujet de la tragédie ? C’est Hercule amoureux de la jeune Iole, dont il a non seulement vaincu, mais tué le père. Et cette victoire, et ce sang versé, ne sont pas les seuls obstacles où se heurte la passion