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C’est une lecture vraiment douloureuse que cette correspondance où les deux femmes essaient, sans y réussir, de se tromper l’une l’autre ; l’une, cachant sa froide haine sous une pitié évangélique, l’autre inventant de vertueux motifs pour continuer son commerce épistolaire avec l’exilé. « Elle seule a de l’influence sur lui ; elle seule peut le ramener au bien, comme elle a déjà tenté de le faire. » Et elle rappelle à Anne Byron les innombrables circonstances où elle s’est interposée pour ramener la paix dans le ménage. Mais tous ces faux-fuyans, toutes ces excuses se heurtent à une volonté tenace. Elle communique à sa belle-sœur les lettres qu’elle écrit et celles qu’elle reçoit. Quand elle écrit à Byron, c’est, en quelque façon, sous la dictée de lady Byron. Dès l’été de 1816, elle laisse échapper l’aveu si impatiemment attendu. Le plus net est celui-ci qui se trouve dans une lettre du 17 septembre :

« Je serais heureuse que vous vissiez encore Mrs Villiers… Elle vous appelle mon ange gardien et je suis sûre que vous l’êtes, en effet… En ce qui touche une autre personne, elle s’exprime avec beaucoup de rancune et de violence, et c’est tout naturel, mais je crois qu’il vaut mieux ne pas répliquer un mot, quoique, en réalité, c’est moi qui suis le plus à blâmer, la seule vraiment inexcusable. Vous savez, n’est-ce pas, que je ferai tout pour expier, et vous m’aiderez ! »

Si cette lettre laissait encore quelque doute dans l’esprit, ce doute disparaîtrait en présence d’une autre lettre, écrite par Byron celle-là, et datée de Venise en 1819.

On ne peut, d’après certaines expressions qui n’ont rien d’équivoque, douter que la femme à laquelle il écrit lui ait appartenu à une heure quelconque de sa vie. Qui est-elle ? Son nom a été soigneusement effacé sur l’enveloppe, mais il y a une phrase dans la lettre qui ne peut s’appliquer qu’à une seule femme dans l’univers, et cette femme est la sœur de Byron. Faisant allusion à la tragique histoire de Paolo et de Francesca, sur laquelle il songeait à écrire, il laisse tomber ces mots : « Ils étaient bien coupables, moins que nous, cependant. » Cette lettre met fin à toute discussion.

Vers ce temps, la publication de Manfred ranima les rumeurs injurieuses. La passion du poète pour sa sœur s’y exprimait ou, plutôt, s’y affichait dans toute son intensité et défiait le monde avec une sorte de rage. Celle qui en était l’objet dut en