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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/545

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valet, ignorant la qualité du visiteur, « ne se pressait pas d’annoncer, » l’Empereur alla se mettre au milieu de la foule, le dos contre la cheminée, affectant de dire à voix haute : « S’il est en affaires, ne le dérangez pas. » Maurepas, prévenu, accourut bientôt, essoufflé[1]. L’entretien terminé, Joseph retournait à Paris et se réinstallait au Petit-Luxembourg. Trois jours plus tard, il allait encore à Versailles, y demeurait le soir et couchait à l’hôtel du Juste, tenu par le baigneur Touchet. Il y dormait sur une paillasse avec une peau d’ours pour matelas.

Ces détails singuliers, embellis, amplifiés, commentés dans toutes les gazettes, provoquent la curiosité tout d’abord, puis l’admiration du public. Ce détachement, cette bonhomie, cette « familiarité vraiment philosophique, » plaisaient à l’opinion, s’accordaient merveilleusement bien avec l’esprit du temps. « Tout le monde, écrit avec ironie la comtesse de la Marck, courait après ce monarque extraordinaire, » qui méprisait le faste et, comme il le disait lui-même, « couchait au cabaret. » Partout où il allait, une multitude, pleine d’enthousiasme, se pressait sur ses pas, s’émerveillant de la simplicité et des allures bourgeoises de ce souverain d’un vaste empire, qui se promenait à pied par les rues de la capitale, suivi de deux laquais en gris, et qui entrait dans les boutiques pour y faire lui-même ses achats. On se pâmait sur ses moindres paroles : « On répétait les lieux communs qu’il disait avec une emphase à faire mourir de rire. La tête en tournait à tout Paris[2]. »

Aussi le peuple fondait-il les plus grandes espérances sur la bienfaisante influence que ne pourrait manquer d’avoir un prince si admirable. Après avoir donné l’exemple, il saurait donner la leçon. Il arrêterait le gaspillage, convertirait la Reine, assagirait la Cour. Et, comme « il voyait tout et s’instruisait sur tout, » il conseillerait le Roi de la manière la plus utile, il lui rapporterait le fruit de ses observations, lui parlerait avec franchise sur les abus et les réformes[3].


Il n’est pas dans mon plan de raconter par le menu les faits et gestes de l’Empereur pendant les six semaines de son séjour

  1. Journal de Croy.
  2. Lettre de la comtesse de la Marck à Gustave III de Suède, du 7 août 1777. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  3. Correspondance secrète publiée par M. de Lescure, 1er mai 1777.