Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moi, d’un succès qui n’est rien, sur mon honneur, et que je refuserais s’il avait toute la signification qu’on lui prête, car alors il serait démesurément injuste.

Quoi qu’il en soit, permettez-moi de ne point oublier ce que vous avez été pour moi dans mes mauvaises journées. Vous me prenez ce soir dans une heure de recueillement et de retour sur moi-même, dispositions trop rares au milieu du gaspillage que je fais et qu’on fait de ma vie. L’absorption du travail est telle que, le jour, je perds la notion du temps et le sentiment de mon existence. Je suis une machine à peindre, triste machine quand elle ne produit rien qui l’ennoblisse. Le soir, depuis deux mois bientôt, nous avons une surcharge de dérangemens de toute espèce, et nos veillées ont été dépensées de la façon la plus insipide et la plus odieuse pour des êtres intelligens.

Dieu merci, nous voici réduits à nous seuls, rentrés dans nos habitudes anciennes, et j’éprouve, depuis hier, un bonheur indicible à me retrouver sensible aux rêveries du coin du feu. Je ne vous parlerai de mon travail que lorsqu’il en sera temps, c’est-à-dire quand tout sera fait et quand je pourrai vous dire : « Voici. » — C’est difficile, peut-être au-dessus de mes forces ; on m’en tiendra compte…

Qu’il vous suffise de savoir qu’on me soutient, qu’on m’estime et que, dans mes accès d’ennui et mes jours de noir, je consulte l’opinion de mes amis pour me consoler.

Je vais employer toutes mes soirées d’hiver à dessiner. Il est bien temps que je fasse mon éducation. Pour un peu, je me remettrais aux ovales, aux yeux et aux bouches. Il faut, une fois pourtant, avoir le courage de se dire qu’on ne sait rien et se mettre à l’apprendre avant qu’il soit trop tard.

Le monde est si loin de nous ! Nous ne voyons personne ; je deviendrai tout à fait ours à ce métier-là. Mais j’y gagnerai peut-être de quoi me faire pardonner mon ignorance de ce qu’on appelle le savoir-vivre fort improprement…

Donc, on a peur, à ce qu’il paraît, mademoiselle Lilia, que la saison d’hiver ne soit pas très gaie à La Rochelle. Heureuses gens, que ceux dont un bal de plus ou de moins fait le bonheur ou, la peine ! Heureuses jeunes filles que celles dont un violon met le cœur en joie !…

A vous, qui n’êtes pas de celles-là, — et je ne saurais vous