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corrompre. Pluton a beau lui faire goûter la pulpe rouge de la grenade, qui symbolise le désir charnel et qui, une fois savouré, engendre les renaissances multiples de ses graines innombrables ; il a beau la presser dans ses bras noirs et la brûler de son manteau de feu, elle demeure l’Impénétrable et l’Intangible, tant qu’elle conserve en son tréfonds l’empreinte divine, germe de sa libération finale, l’image sacrée, le souvenir de sa mère. Voilà pourquoi Perséphone, celle qui traverse les abîmes, est aussi appelée Sotéira, celle qui sauve.

On reçoit un vague reflet de ces émotions sublimes devant le bas-relief d’Eleusis conservé au musée d’Athènes et dont une reproduction se trouve à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. La grave Déméter remet à Triptolème adolescent, le fondateur éponyme du temple d’Eleusis, le grain de blé symbolique de l’immortalité, pendant que la chaste Perséphone, placée derrière lui et armée du flambeau des Mystères, le couronne en posant l’index sur le sommet de sa tête pour lui instiller la vérité divine. Tout est religieux dans ces figures si nobles sous leurs plis archaïques, la majesté calme de la mère des Dieux, le profil attendri de sa fille, le redressement ému et digne du jeune myste. Le simple bon sens indique que nous sommes là en présence d’une scène d’initiation de la plus haute signification. Dire pourtant qu’il s’est trouvé des mythologues qui ne voient en Déméter que la déesse de l’agriculture et en sa fille qu’un rébus du printemps[1] ! Dieu merci, on se doute aujourd’hui que les mystères d’Eleusis sont autre chose qu’un concours agricole, agrémenté d’un discours de préfet et d’une manifestation électorale, — ce qui représente sans doute la civilisation idéale pour ceux qui voudraient en extirper le sens du divin.


V. — LE DIONYSOS DES MYSTÈRES

Avec Déméter et Perséphone, nous avons touché le fond psychique primitif des mystères d’Eleusis. Pour atteindre leur fond intellectuel et cosmogonique, il nous faut regarder

  1. La signification transcendante de Perséphone ressort lumineusement de sa légende pour ceux dont le fanatisme matérialiste n’a pas bouché les yeux et les oreilles. Le culte qu’on lui rendait le prouve avec non moins d’éloquence. C’est ainsi qu’à sa fête, au printemps, on couronnait de fleurs les tombeaux des morts. Quoi de plus clair ? Avec la floraison terrestre, les mystères célébraient le revoir de Perséphone et de sa mère et le retour des âmes au ciel.