Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des images parlantes. L’initiation et les fêtes d’Eleusis donnaient à ceux qui savaient les comprendre la clef des contradictions et des terreurs de la vie. Ainsi les deux institutions se complétaient et s’entr’aidaient. Dans Eschyle et dans Sophocle on entrevoyait la paix et la lumière au-delà de la terreur et de la pitié. Dans Euripide, le dialecticien et le sophiste, qui appartient déjà à la civilisation purement intellectuelle et rationaliste dont Socrate est la cheville ouvrière, nous trouvons la terreur et la pitié sans leur efficacité transcendante, c’est-à-dire sans l’illumination et sans l’apaisement psychique qu’elles possédaient dans le drame primordial d’Eleusis et qu’avait conservés dans une large mesure le drame d’Eschyle et de Sophocle. L’homme dans Euripide apparaît la victime du hasard ou de l’arbitraire divin. On peut dire que la terreur et la pitié deviennent plus poignantes dans ce concept de la vie, mais elles y perdent leur vertu ennoblissante, leur pouvoir éducateur. On sort élargi et rajeuni d’une tragédie d’Eschyle ou de Sophocle ; on sort ému, mais accablé, d’un mélodrame d’Euripide. Malgré la grandeur du poète et de l’artiste, il y manque le souffle divin.

L’idéal de l’art serait de joindre, dans la plénitude de la vie, à la terreur et à la pitié salutaires de la tragédie, les révélations consolantes que la Grèce a trouvées dans ses Mystères et particulièrement dans le drame éleusinien. L’histoire sans doute ne se recommence pas et on ne nage pas deux fois dans le même fleuve, comme disait Héraclite ; mais, au cours des âges, les idées et les choses reviennent en métamorphoses incessantes et en formes imprévues. Malgré le voile opaque dont nous enveloppe notre civilisation matérialiste, il n’est pas impossible que le miracle hellénique ait des avatars et des renaissances surprenantes. Les créations nouvelles sortent quelquefois du profond et douloureux désir d’un passé à jamais perdu. Elle brûle encore en nous tous l’inextinguible nostalgie de la tragédie grecque, sur laquelle (lotte, — espérance immortelle, — la lumière sublime d’Eleusis.


EDOUARD SCHURE.