Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/771

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

butte à l’hostilité de la Cour, trahi par M. de Maurepas, battu froid par la Reine et abandonné par le Roi, était contraint de se retirer des affaires, et l’on installait à sa place un courtisan frivole, un médiocre intrigant. Pour expliquer cette chute et en mesurer l’importance, il nous faut jeter un regard sur les opérations du ministre réformateur qui, par ses vastes plans, par ses intentions droites, par ses essais hardis et par son insuccès final, fut à certains égards, quoique avec une moindre envergure, une manière de Turgot, un Turgot militaire.


I

Son avènement[1], comme celui de Turgot, avait été accueilli du public avec une réelle allégresse. Par son passé, par les récits de ses anciens compagnons d’armes, en France, en Allemagne, en Danemark, partout où il avait servi dans sa carrière aventureuse, on connaissait son caractère entier, son honnêteté bourrue, son horreur des routines et des sentiers battus. On le savait aussi sans parti, sans coterie, « isolé à la Cour » et ne dépendant de personne. Et tout cela, dans les milieux bourgeois, philosophiques ou militaires, plaisait infiniment, donnait l’idée d’un homme qui ne ménagerait rien, flattait cet « esprit de réforme » qui, comme dit le duc de Croy, était alors « le goût à la mode, dans un pays où tout est mode[2]. »

Sauf quelques dignitaires pourvus de charges lucratives, quelques militaires haut placés, qui redoutaient toute innovation, tout changement, comme une menace pour leurs intérêts personnels, Saint-Germain, au début, ne rencontrait aucune hostilité sérieuse, aucune prévention malveillante. Maurepas, après son premier entretien avec le ministre nouveau, mandait à Mme de Praslin l’impression favorable qu’il ressentait, et chacun avec lui : « Il est inutile de vous exprimer la sensation agréable occasionnée par le retour de M. le comte de Saint-Germain. Il n’y a qu’un cri dans tous les ordres, et l’on répète : il est toujours le même ! » Les salons, les bureaux d’esprit, formaient aussi les plus excellens pronostics : « Je crois que le choix de cet homme ne déplaira à personne, excepté à ceux qui étaient ses ennemis particuliers ; » ainsi s’exprime la marquise du

  1. Voyez Au Couchant de la Monarchie, p. 265.
  2. Journal de Croy.