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Malgré sa « sauvagerie, » son ignorance des choses de Cour et son inexpérience des hommes, Saint-Germain comprenait l’importance capitale de profiter du premier enthousiasme, du « consentement quasi unanime » des débuts, pour frapper des coups décisifs et opérer, dans le département qui lui était confié, les « grandes révolutions » qu’il jugeait nécessaires. Quelques semaines lui suffirent, en effet, pour amorcer de graves réformes et en annoncer beaucoup d’autres. « La hardiesse des opérations du comte de Saint-Germain, dès les premières semaines de son arrivée au ministère, dit le gazetier Métra[1], étonne, étourdit comme un coup de foudre ! Bientôt tout sera changé, réformé dans son département. » Mais cette surprise heureuse et cette admiration charmée étaient une source de danger. Une légende se formait autour de Saint-Germain, dont il serait un jour victime. « Paris voulait que, pour sa gloire, il s’en allât un bâton à la main, qu’il vécût en ours, en homme singulier, et qu’il forçât pour emporter son plan. » Pour tout dire en un mot, on exigeait qu’il « sabrât tout, » et « quelque ferme que fut cet homme peu commun, Paris était encore plus ferme et plus sabrant que lui. » De là, de cet état d’esprit, viennent, du moins en partie, les mille difficultés qui vont prochainement l’assaillir. Toute temporisation passera pour une faiblesse, tout ménagement pour une « lâche reculade[2]. »


Pour nous permettre de connaître et d’apprécier, dans leur ensemble, les idées et les vues du comte de Saint-Germain, il est un document précieux : ce sont les « dix principes » rédigés de sa main et désignés dans ses Mémoires[3]comme contenant les règles immuables, — « éternellement vraies, » écrit-il, — qu’il jugeait devoir présider à l’administration de l’armée. On y trouve

  1. Correspondance secrète, 1er janvier 1776.
  2. Journal de Croy, janvier et février 1776.
  3. Les Mémoires du comte de Saint-Germain ont été publiés en 1779, l’année d’après sa mort. Ils furent écrits, dit La Harpe, « dans l’intervalle qui s’est écoulé entre sa disgrâce et sa mort, » et imprimés par les soins d’un de ses amis, l’abbé de La Montagne. On a, dès leur apparition, contesté leur authenticité ; mais, sans même invoquer la forme et l’esprit de ces pages, qui concordent absolument avec tout ce que l’on connaît de M. de Saint-Germain, on a l’attestation du baron Christian de Wimpfen, qui fut longtemps le plus intime ami de l’auteur des Mémoires et qui, en les rééditant et en les commentant, affirme avoir « tenu l’original entre ses mains » et certifie qu’il « n’y existe pas un seul mot qui ne soit écrit de la main même de M. le comte de Saint-Germain. » Ce témoignage suffit à lever tous les doutes.