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tout le fruit que nous retirerions de notre zèle serait la haine de tant d’intéressés[1]. »

Il faut reconnaître, d’ailleurs que de sérieuses raisons militaient en faveur de ces beaux escadrons. Sous Louis XIV et sous Louis XV, la Maison militaire s’était, à mainte reprise, acquis un renom immortel. A Steinkerque, à Nerwinde, elle avait sauvé la partie et décidé de la victoire. A Ramillies, elle avait mérité ce bel éloge du duc de Marlborough : « On ne peut battre la Maison du Roi, il faut la détruire. » C’est elle enfin qui, à Fontenoy, avait enfoncé et rompu l’invincible colonne du duc de Cumberland, forcé cette citadelle regardée comme inexpugnable. Tant de glorieux souvenirs lui composaient une sorte d’auréole. On pouvait encore invoquer, dans un temps où la royauté se voyait attaquée jusque dans son principe, l’utilité de respecter tout ce qui rehaussait le prestige et l’éclat du trône, tout ce qui servait à maintenir l’autorité personnelle du souverain. C’est là sans doute ce qu’entendait Louis XVI, lorsqu’il disait à Saint-Germain, pour justifier sa répugnance à certaines suppressions, que « dans un État comme le sien, il fallait parfois de grandes grâces pour attacher et conserver les grands seigneurs à son service[2]. » C’est aussi l’objection que le duc de Croy oppose aux conceptions du ministre réformateur, dans le passage de son Journal où il explique que l’exécution d’un tel plan était chose impossible, « à moins d’une refonte si dure, que c’eût été écraser tout le monde, une immensité ne vivant que sur le Roi. Louis XIV et même Louis XV, ajoute-t-il, ont monté trop haut, et quand on l’a fait, on ne peut plus descendre[3]. » En détruisant les corps privilégiés, a-t-on dit de nos jours[4], on risquait de détruire « le boulevard de la monarchie. » On s’en aperçut bien sous la Révolution, le 14 juillet et aux journées d’Octobre.

Malgré ces considérations, malgré les résistances et les difficultés prévues, ce fut pourtant sur cette institution que Saint-Germain, avant toute chose, résolut de porter ses coups. La nécessité capitale de se procurer des ressources en faisant des économies prima dans son esprit toutes les raisons politiques ou

  1. Mémoires de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XV.
  2. Note écrite par Saint-Germain après sa retraite. — Mémoires de Soulavie.
  3. Journal du duc de Croy, passim.
  4. M. Frédéric Masson, L’Armée royale en 1789 (Écho de Paris, du 7 mai 1911.)